Laerthis
Le Padre reste le Padre jusqu’à sa mort, après laquelle son fils prend alors sa place, devenant ainsi le nouveau Padre, et l’Organisation continue de vivre de ses basses ½uvres. En pratique, le fils prend les progressivement les affaires en main, permettant à son père de profiter de ses dernières années sans tracas. Ainsi vont les choses.
Le problème, c’est que Diego del Tuyo, dans un accès de colère, mangea son épouse quelques années auparavant, ainsi que l’enfant qu’elle portait. Un bref mais violent accès de rage… Diego avait confié à Madame une bourse conséquente pour corrompre un adjoint au Bourgmestre de Tobaro, la cité-état Tiléenne où l’Organisation officie. Mais Madame n’avait pas jugé inopportun de s’y servir pour un achat avant de la transmettre à l’intéressé.
Deux-cents vingt-cinq mille pièces d’or contre les trois-cents mille attendues. La tronçonneuse achetée par Madame pour découper le rôti du dimanche était de fort bonne qualité, certes. Mais Giuseppe Strazza prit tout de même l’allègement de la bourse attendue comme une insulte, au mieux un manque de respect. Si le Padre était un homme craint, régnant sur toute une clique de voleurs et coupes-jarrets, le bourgmestre et ses adjoints l'étaient davantage, ayant pour eux une garde militaire leur assurant le réel contrôle de la ville. Ils toléraient les activités de Diego et de son Organisation parce qu’il tenait les quartiers les plus pauvres à moindre coût. Ce n’était cependant pas là un blanc seing.
Le reliquat de ce qui lui était dû fut livré à Strazza, avec un complément de cinquante-mille pièces d’or pour que l’affaire fut oubliée. Le Padre resta inconsolable de la perte de son épouse, et fut depuis ce jour régulièrement pris d’accès de mélancolie, survenant parfois au moment le plus inopportun : lors d’une séance questions-torture-réponses (Rafaël Provolone fut surpris, sur son chevalet, de ne plus être le seul à pleurer dans la pièce), lors d’une partie de chasse (sauvant un sanglier d’un coup de poing mortel), et pire, au cours d’une rixe avec la Squadra Squallo (valant à Diego une blessure qu’il régénéra par chance instantanément, avant d’arracher dans un sanglot, la tête de celui qui la lui avait causée).
Ces quelques faiblesses du Padre ne passèrent pas inaperçues. Certains, au sein même de l’Organisation, pensaient qu’il était temps pour Diego de passer la main. Mais en l’absence de fils, et devant son refus de se trouver une nouvelle épouse, le problème était insoluble. Plus le temps passait, plus les rênes avec lesquels il tenait l’Organisation étaient lâches. Quelques fidèles redoublaient de zèle et parvenaient à le maintenir au pouvoir contre toujours plus de violence, de sang et de terreur. La situation devenait critique, et l’Organisation menaçait de s’effondrer de l’intérieur, en proie à une paranoïa généralisée. Quand la confiance n’est plus là, l’argent rentre moins, et les comptes de l’Organisation se vidaient. Lentement certes, et s’ils avaient été bien approvisionnés pendant quelques décennies, il ne faisait plus aucun doute qu’un jour ils seraient définitivement asséchés.
« C’est plus possib’ j’te dis, faut-faut qu’on s’refassssse, s’inquiétait Giorgio Canalizzazione, l’égoûtier qui avait trouvé sa dernière planque à l’Organisation, dans les réseaux sous-terrain d’évacuation des eaux usagées
- Ne t’inquiète pas, che te le tis. Afec Pacôme, nous afons un plan infailliiiipleuh ! lui rétorqua Helmut Pilz.
Le pharmacien, skaven originaire des bas-fonds d’Altdorf, avait émigré à Tobaro après avoir volé à son clan un important stock de Malepierre. Le transport de la matière ne fut pas aisé ni sans conséquences, et l’on aurait pu retracer l’itinéraire d’Helmut entre les deux cités rien qu’en suivant un chemin d’herbes flétries, d’arbres morts et d’animaux mutés. Certains cailloux qui avaient croisé sa route exprimaient même des regrets, littéralement.
A Tobaro, il avait rencontré Pacôme de Ravaillac, mycologue qui avait fui à la suite d’une expérience ratée. Sa tête était mise à prix par les technomages de Bretonnie, où le Moussillon ne faisait plus figure de pire destination touristique quand on le comparait à la ville que Pacôme avait détruite avec ses champignons géants, toxiques et carnivores. Son clan n’avait rien voulu entendre. Qu’il eût voulu s’allier les tribus de gobelins de la nuit des alentours en leur fournissant des champi nouvelle génération ne s’était pas avéré une explication convaincante justifiant d’avoir dopé leur croissance à la Malepierre.
Tous deux avaient rejoint l’Organisation dès leur arrivée à Tobaro, à quelques mois d’intrervalle. L’Organisation accueillait tout le monde, et en cela, le Padre était peut-être bien la créature la plus altruiste de tout ce belliqueux Vieux-Monde. Les deux scientifiques sympathisèrent très vite, et purent même travailler ensemble, car Diego était d’un naturel curieux, un troll d’une modernité exceptionnelle, aux idées peut-être rares mais en avance sur leur temps. Il finança généreusement leurs rechechers. Après quelques années et de nombreux échecs (le Padre était bienveillant à leur égard, et il leur pardonna même d’avoir ravagé leur dernier quartier général avec leur « première chénération de squigs, ils sont un petit peu suractifs, arh, mais c’est parce que ils sont cheunes, les sacripans, arh, fous safez ce que c’est la cheunesse, Padre, nein ? ») ils étaient enfin parvenu à mener à bien leur projet.
Sur les bases des premiers travaux de Pacôme en Bretonnie, ils avaient réussi à créer une nouvelle génération de champignons récréatifs dont la croissance n’était pas incontrôlée. Laissée sans surveillance elle n’en était pas moins dangereuse, mais avec du personnel formé, tout se passait globalement plutôt bien (il y avait toujours un champignon ou deux pour croître davantage sous terre qu’au dessus, et mordre celui qui tentait de le cueillir). Il fallait trois mois au champignon pour se développer, généralement au-dessus du sol. C’était alors le bon moment pour le cueillir. Une fois séché, on pouvait le réduire en poudre aux propriétés nombreuses et étonnantes, en faisant une substance particulièrement adaptée à la médecine et aux soirées électro (celles là même où un orchestre vous faisait danser le menuet de pierre tandis qu’un mage du Collège des Cieux s’occupait de l’éclairage) : désinfection des plaies, anti-nociception, désinhibition et euphorie, vasodilatation… Mais aussi, dans un registre plus général, la fertilisation des sols, le nettoyage des parquets et des vitres, vernissage du bois et peinture, protection contre la rouille, stérilisation des aliments, et ils ne le savaient pas encore, carburant pour Roule-Mort si mêlée à de l’huile de baleine.
A partir du troisième mois, la croissance du champignon s’accélérait de manière exponentielle. Au quatrième, il faisait la taille d’un demi-halfling et commençait à bouger. Au cinquième, le pied du champignon disparaissait, englouti par la tête, où il allait constituer son système nerveux. Au sixième mois, il faisait la taille d’un hobbit, était pourvu de deux membres postérieurs, d’une gueule aux crocs énormes et bondissait partout en tentant de mordre tout objet vivant sur son passage. Avec de la patience et de l’amour (beaucoup des deux en fait, car il était dur de rester patient et d’aimer ce qui ne souhaitait que vous engloutir) on pouvait les éduquer un peu et même parfois s’en faire obéir. Bref, la seconde génération de cette nouvelle espèce de squigs aurait mérité à la fois le prix Alfonse Bonel de médecine et d'alchimie si elle était sortie d’un laboratoire du Collège Impérial.
La poudre de champignons de l’Organisation se vendaient bien, les caisses se remplissaient à nouveau plus vite qu’elles ne se vidaient. Le Padre restait inconsolable, mais la confiance revenait doucement. Les skavens recrutèrent un chimiste, Tommy Natta, pour les aider à purifier plus efficacement leur poudre, et certains champignons devenus Squigs furent même adoptés comme animaux de compagnie pour égayer les égoûts. D’une manière surprenante, certains commencèrent même à parler, et des tâches simples pouvaient leur être confiées. Puis de plus en plus complexes. L’Organisation retrouvait de sa superbe, l’argent coulait à flots, tous rayonnaient sauf Diego, toujours triste.
« Ca ne peut plus durer, faut-faut qu’on le retape le bo-boss les gars. J’ai un plan infaillible. »
Jimmy Chirurgo était le nettoyeur de l’Organisation, celui qui se chargeait des plus basses besognes, sans crainte de se salir les mains. S’il était un professionnel à l’inventivité sans limite dès lors qu’il s’agissait de mettre fin à une existence (rampante, volante ou se tenant sur une ou plusieurs pattes), c’était également là les limites de son talent. Jimmy était excellent pour tuer, et c’était à peu près tout.
« Jimmy dire bêtises, toujours !!!! »
Lui c’était Vincenzo Coltello, le protégé de Jimmy. Un squig aux dents tranchantes comme des couteaux, et à la langue acérée. Le seul à pouvoir le critiquer ouvertement. Jimmy l’avait adopté quand la mode du squig de compagnie s’était emparée de l’Organisation. Il l’avait amené avec lui sur quelques coups, et depuis, il ne s’en séparait plus.
« Tu-tu comprends rien, fa-face de champi ! Hiiii ! Hiiii ! Hiihihihiiiii ! ! Si Jimmy était redouté, c’était pour son absence de pitié, son efficacité, mais aussi son instabilité psychologique.
Le boss, c’est c’est de se changer les idées qu’il a besoin ! On-on va le mettre au sport ! Quand Jimmy est tri-triste, Jimmy tue, ça le détend ! Et le boss il aimait bien le Blood-Blood Bowl ! Mais il ne regarde plus-plus depuis l’accident !!!
- Mais-mais il regarde pas son poste de Cabalvision. Il ne veut plus l’allumer, rétorqua Tommy Natta, le chimiste !
- On va le faire-faire participer !!!
- Mais-mais c’est dangereux ! Il peut mourir !
- Il en a vu d’autres ! D’autres ! Hiiii ! Hiii ! Hiiiiihihihiiiii ! J’étais là ! Toujours ! Jimmy toujours là ! Jimmy le protègera !
- Mais-mais vous n’avez pas d’équipe !!!
- Hiii ! Hiiii ! Mais siiii siiii l’équipe, l’équipe, c’est nous touuuus nous touuuus !
- Jimmy bonne idée ! Bonne idée ! hurla Vincenzo en bondissant autour de son maître.
La mâchoire de Tommy Natta manqua de se décrocher. Seul Vincenzo pouvait contredire Jimmy sans risque, et c’était sans doute la première fois qu’ils tombaient d’accord en public.
Ils étaient dans la merde. Il connaissait la seule ligue à laquelle il leur était possible de s’inscrire. Un ramassis d’équipe de seconde zone aussi bêtes que méchantes, vicieuses que tricheuses. Des malhonnêtes, comme eux, des sans scrupules. Mais des sportifs. Des mecs entraînés à ce sport de fous. Pas trois scientifiques accompagnés de champignons menés par un Troll dépressif.
Laerthis
Le vestiaire puait la peur. La peur qui suinte des murs, vous coule le long du dos, lentement, froidement. La peur qui vous noue les intestins et soulève le c½ur. Même Jimmy Chirurgo, le nettoyeur, peinait à stopper ses tremblements sous sa tenue de blitzer. En tant que tueur professionnel, il avait mis la main sur la seule armure lourde dont disposait l’Organisation, et personne n’avait rien dit, malgré la jalousie qu’ils en éprouvaient. Leurs simples protections en cuir semblaient si légères à côté, et aucun ne se faisait d’illusion. Au moindre choc, leurs frêles os casseraient comme du verre.
Johnny Riviera, qui travaillait officiellement pour la Garde de la ville, fumait tranquillement une cigarette. Il avait peur lui aussi, mais la peur était son quotidien : la Garde le pensait infiltré dans l’Organisation, mais c’était plutôt l’inverse. Il vivait sur un fil pendant au-dessus du vide et la moindre inattention l’enverrait au fond d’un trou. La seule corde pour l’assurer était serrée autour de son cou, et si elle se rendait compte qu’elle avait été roulée, la Garde n’hésiterait pas à laisser son cadavre pourrir sur le gibet pour en faire un exemple. Plus d’une fois Johnny avait failli se faire prendre, mais il courait vite. Très vite. Avec un métier pareil (si l’on peut appeler ça un métier), il ne pouvait compter que sur deux choses. Sa tête et ses jambes. Et il comptait bien les utiliser sur le terrain pour prolonger encore un peu son existence.
Il n’y avait pas un mot dans le vestiaire. Juste eux, la peur, et le bruit. Celui de milliers de spectateurs ivres en train de crier ou déjà de se battre. Le match commençait en avance dans les tribunes. Coups de sifflet, bruits d’un mouvement de foule. La Garde qui intervenait sans doute.
La peur, et de nouveau le calme. Guère d’autres sons que leur respiration lourde. Et soudain un hurlement, des rires méchants, un grognement bête, un ricanement aigu. Des pas lourds dans le couloir, passant devant leur porte. Les murs tremblèrent. Quelqu’un tambourina à la porte. « ON VA VOUS CREVER !!!» Voix grave, menaçante, à l’accent étrange. L’équipe adverse venait d’arriver dans le stade et rejoignait son vestiaire.
C’est Pacôme de Ravaillac, qui le premier, brisa la glace.
« Très chers amis, assu-ssurément allons nous passer-passer mauvais quart d’heure. Aussi-aussi ai-je pris l’initiative, assisté de notre es-estimé chimiste, Monsignor Natta, de vous concocter ce petit-petit quelque chose. Voyez le comme un remontant, de quoi vous donner du c½ur à l’ouvrage. »
Il sortit de son sac une petite bourse en cuir, fit de la place sur son banc, et en défit les lanières. Il l’ouvrit, laissant apparaître un petit tas constitué de fragments d’aspect spongieux, allant de l’orange au mauve en passant par l’ocre et le brun.
« Rigolettus Boletus, annonça t-il triompant. Une ra-rareté !!! Effets se-secondaires presque ine-inexistants (bien que dramatiques s’ils survenaient, mais il se passa de le préciser), et propriétés fa-fa-fabuleuses !!! Il apaise l’esprit-l’espriiiit (il couina), et améliore les sens-seeens !!!
- Mais Pacôme, si on resssssssent plus, on va ssssssouffrir plus aussi non ? Non ? T’as pas, t’as pas une potion qui nous donnerait plus de force oui c’est ça-ça de force, demanda Giorgio Canalizzazione, qui s’apprêtait à aller faire un troisième (et espérait il dernier) tour aux toilettes.
- Point d’inquiétude mon jeune ami, le toucher est le seul sens qu’il n’améliore pas. Mais mais nous y avons pensé, simple-simplement, nous n’avons pas réussi à le modifier pour atténuer la dou-douleur. Allez, venez-venez, n’ayez pas peur, servez-servez-vous, c’est très bon, très bon ! »
Il joignit le geste à la parole et se saisit d’un morceau qu’il enfourna dans sa bouche l’air ravi, en s’efforçant de se donner un air rassuré et gourmand.
« POUAH, mais c’est dégueu ! Dégueu-dégueu-dégueuuuuu !!! »
Giorgio manqua de s’étouffer mais finit par déglutir tant bien que mal. Chacun leur tour, les membres de l’Organisation avalaient un morceau de bolet. Si les skavens faisaient la grimace, les squigs donnaient l’impression de se régaler. Seul Diego del Tuyo ne bougeait pas de son banc. Le Padre était ailleurs. Johnny se demandait pourquoi il prenait tous ces risques, en permanence, si son patron n’était plus vraiment concerné. Il fut le dernier à avaler son morceau de bolet.
« Marche pas ton truc Pâcome. Ressens rien.
- Il faut-faut laisser agir ! Ce n’est pas immmmm-immédiat ! Le-le Padre n’en prend pas ?
- Le Padre n’a plus envie de grand chose, hein boss ? »
Diego restait impassible, le regard vide. Savait-il vraiment où il était ? Un officiel vint frapper à la porte, puis annonça à travers elle : « Présentation des équipes dans cinq minutes ! ».
Tous se levèrent, Diego compris. Les champi de Pacôme commençaient à faire effet, car la peur quitta le vestiaire avant que les joueurs n’en sortent. Johnny restait dubitatif, car lui ne voyait pas de différence. Dernier dans la pièce, tandis que ses coéquipiers remontaient le couloir menant des vestiaires au stade, il prit le morceau de champi restant destiné au Padre, un peu plus gros que les autres, et l’avala.
« Pour l’effet qu’ça fait… »
Puis il sortit et rejoignit son équipe en trottant, sans se faire remarquer.
« LEEEEEES SEWER MYCOLOGIIIIIIIIST !
ON LES APPLAUDIT BIEEEEEEEN FORT !
- Ah faut en profiter tant qu’ils sont encore en vie, après ce sera trop tard !
- TOUT A FAIT JIM, ON S’DEMANDE COMMENT CETTE BANDE DE GRINGALETS VA POUVOIR TENIR LE CHOC FACE A L’EQUIPE DES NASGARD ALL STUPID ANIMALS ! »
Johnny fut le dernier à mettre le pied sur le terrain. Les lumières du stade l’éblouirent, et il tira sa capuche juste au-dessus des yeux pour s’en protéger. Il fut pris d’un bref sentiment de vertige, se réalisant minuscule devant les immenses tribunes noires de monde. Il n’imaginait pas qu’un terrain de BloodBowl puisse être aussi grand. Tant mieux, plus il y a d’espace, plus on peut s’échapper. Ses coéquipier s’étiraient, les squigs sautillaient un peu partout sans trop comprendre ce qui les entourait, ça promettait. Sur l’autre moitié de terrain, leurs adversaires, hilares, se régalaient d’avance du massacre à venir. Ce n’étaient que menaces, pluies d’insultes et gestes de mise à mort. Ces humains crasseux étaient accompagnés d’un orque, d’un elfe et de trois monstres. Leur troll « Poire-Abricot » n’avait rien pour lui, ratage évolutif fini à l’urine, il bavait, un doigt dans le nez, et rigolait seul dans son coin. En comparaison, le Padre faisait figure de Madone. A ses côtés se dressait un Ogre barbu, à la carrure impressionnante, l’air serein, dont se dégageait une force tranquille mais titanesque, n’attendant que d’être déchainée. Enfin, s’avança Aredhel, un des rares coach-joueur de l’histoire de ce sport. Le Minotaure titanesque avait des yeux rouges jetant des éclairs de haine, et il peinait à se contenir de ne pas charger. Assurément, il serait la principale menace ce soir.
Johnny interpella le nettoyeur.
« Jimmy, la vache, tu nous la sèches vite fait.
- C’est comme siiii c’était fait ! Hiiii ! Hiiiiiii ! J’ai un plan infailliiiiiible ! Esquiiiive, esquiiiive et gnooooon ! Crampon, crampon ! Hiiiiii ! »
Johnny était dubitatif. Jimmy excellait au couteau, à l’arbalète, avec une corde, un objet contondant, n’importe quelle fiole d’acide ou de poison, avec de l’huile et du feu. Mais il lui fallait faire quelques repérages. Jimmy Chirurgo n’était pas vraiment taillé pour la bagarre, et il s’était toujours débrouillé pour arriver à ses fins sans avoir à se battre. Sur le terrain, pas de poutre où attendre de nombreuses heures en hauteur, d’alcôve ou se cacher, de bouche d’égout d’où surgir.
Le hasard décida que les Sewer Mycologists allaient botter le ballon. D’un commun accord, l’équipe décida de laisser le Padre en retrait, qu’il ait un peu de temps pour s’acclimater à ce nouvel environnement. Sur la ligne centrale, trois squigs prirent place face aux Big Guys de l’équipe adverse, non pas courageux mais inconscients du danger qu’ils représentaient.
Johnny prit son élan et botta le ballon dans le camp adverse. Son tir partit à droite et peina à franchir la ligne centrale, mais il la dépassa de quelques mètres. Les tribunes explosèrent, et le match commença.
Leur esprit sans doute perdu dans une dimension parallèle, les squigs au centre du terrain bondissaient sur place, interloqués par les trois monstres qui leur faisaient face.
L’Ogre et le Troll riaient de bon c½ur devant les squigs. Ils essayaient de les attraper délicatement pour les observer, surpris par leur étrangeté. Le coach de la NASA, joueur à temps plein et minotaure de son état, rugit et tenta de montrer l’exemple à ses deux compères inutiles. Il se jeta sur le champignon monté sur ressorts qui lui faisait face, mais ne parvint pas à le toucher. Le squig, dans un éclair de lucidité, réalisa qu’on lui voulait du mal et esquiva les poings ravageurs du monstre. Il vint se réfugier près de Diego, qui ouvrit grand les yeux, et voyant qu’on voulait du mal à un membre de son Organisation, assena un coup de poing phénoménal au minotaure. L’impact entre ses deux cornes fit un bruit sourd, et Aredhel s’effondra avec fracas. Sonné, il peinait à se relever, et tout autour de lui, les Sewer Mycologists se rassemblaient prudemment dans le but de l’en empêcher définitivement.
Sur la droite, Jimmy Chirurgo mena l’offensive. Les maraudeurs n’avaient pas encore mis la main sur le ballon et le couvraient avec peine, aussi le nettoyeur, aidé d’un squig, en faucha un. Johnny s’élança à sa suite pour tenter de s’emparer du cuir, mais sa tentative échoua, un autre humain aux yeux divergents frappant la balle qu’il venait de saisir.
A côté du minotaure, immobilisé par son équipe, Sylvio Al Arrabiata, surnommé ainsi parce qu’il ne mangeait que de la viande crue, saignante, et ne savait pas ne pas en mettre partout, s’apprêta à le mordre à la gorge. Mais au même moment, Jimmy arriva pour demander des renforts, et tous lâchèrent le monstre. Le voyant se relever, Sylvio renonça à l’agresser et prit ses jambes à son cou. Jimmy Chirurgo se retrouva seul face au colosse à cornes.
La bataille autour du ballon faisait rage. Tommy Natta mit son poing dans la figure d’un joueur, qui s’effondra en hurlant. Pacôme regarda d’un air surpris son collègue scientifique dont les muscles, comme les siens, semblaient bien incapables d’un tel exploit. Tommy Natta lui sourit et dit « Acide chlorhydrique ». Il ouvrit son poing et des morceaux de verre brisé tombèrent de son gant de cuir.
Johnny allait enfin pouvoir prendre la balle et s’échapper. Mais cette fois-ci, c’est un mal de tête particulièrement douloureux qui l’en empêcha. Ses pupilles se dilatèrent, une envie de vomir le saisit, et sa vue se brouilla. Il tapa dans la balle au lieu de la ramasser, arriva à portée d’un humain et esquiva avec chance le tacle de ce dernier. Puis la douleur passa, ainsi que ses nausées, aussi vite qu’elles étaient venues. Une sensation de boule dans la gorge, et la conscience de chaque élément autour de lui. La respiration lourde des uns et des autres, les intestins de Jimmy Chrirugo qui lâchaient tandis qu’il tentait d’échapper à son bourreau, la douleur de l’homme au visage rongé par l’acide, la soif des supporters, le tremblent de leurs cordes vocales avant chaque hurlement, les brins d’herbe ployés par la brise. Tout semblait aller au ralenti autour de lui. Il ramassa le ballon sous les yeux abasourdis d’un joueur de la NASA, et s’esquiva le long de la ligne de touche, hors de portée de tous, comme une flèche tirée au milieu d’une mêlée figée.
Pendant ce temps, Jimmy, tout empêtré dans son armure de blitzer, couinait et voulait sauver sa peau face au minotaure. Il rampait, essayait de se relever, avant d’être mis de nouveau à terre. Il finit par sortir sur civière, premier blessé grave du côté de l’Organisation. Sylvio Al Arrabiatta le vengea en saisissant à la gorge un maraudeur au sol, et il fut expulsé par l’arbitre quand il voulut réitérer son exploit sur un second. Johnny continuait de courir vers l’en-but, temporisa un peu voyant la fin de la mi-temps se rapprochant mais de ce fait prolongea le passage à tabac de son équipe. Tant pis pour eux, lui était en sécurité, c’est tout ce qui comptait. Dans les dernières secondes, il écrasa la balle derrière la ligne d’en-but puis se retourna, grand sourire, vers ses coéquipiers.
Certains boitaient, d’autres se tenaient les côtes, et certains squigs peinaient à bondir.
Diego lui-même avait été un peu malmené, mais il n’en laissait rien paraître, poche de sérénité dans un océan d’ecchymoses et d’épuisement.
Dans les vestiaires, le toubib remit sur pied Pacôme, et devant son air hébété, Johnny se dit qu’il lui parlerait plus tard des effets ressentis à cause de ses champignons. La boule qu’il avait dans la gorge semblait se déplacer sur la droite de son cou, et si elle ne le gênait pas pour respirer, elle ne cessait de tirer sur sa peau et le démangeait. Un squig se vit affublé d’un bandage.
La mi-temps passait vite. Dans le vestiaire, Johnny tenta de remotiver les troupes.
« Les gars, on en a chié, mais c’est pas fini. On mène au score, on a contré, on a fait l’gros du boulot et…
- Oui mais as-tu fu l’état tans lequel ce paufre Jimmy est ? l’interrompit Helmut Pilz
- Ouais ben ça arrive.
- Et les petits champignons ! Arh ! Ils ont zouffert auch. Nous partîmes treize et ne sommes plus que neun.
- T’inquiète, ils ont pris tarif aussi.
- Et on va encore leur en faire baver.
- Ouais, restons prudent quand même.
- On va les ouvrir ces chiens.
- Euh Herr Riviera, tout-tout fa bien ? lui demanda Helmut, l’air inquiet
- Ouais ouais, nickel, pourquoi ?
- Fous parlez tout zeul.
- Qu’est-ce que vous me chantez ? Bon on y va. On score vite, on fait le break et rideau. Courage les gars.»
C’était la Lutece. Ils auraient dû le savoir, s’en méfier. Les joueurs les plus malhonnêtes du BloodBowl, interdits de jouer dans les autres ligues, finissaient tous, sans exception, à la Lutece. Alors que les Sewer Mycologists prenaient place sur le terrain, et avant même que l’arbitre ne siffle le début de la seconde mi-temps, la NASA se rua en avant. Aredhel mena la charge et encorna Helmut Pilz qui ne vit rien venir, suivi de deux maraudeurs et de leur gobelin. Comme par hasard, le ballon botté par un maraudeur lui arriva pile dessus, mais il n’arriva pas à l’attraper. Jimmy interpella l’arbitre mais celui-ci, dans l’ombre de l’ogre Melphios, lui indiqua que le jeu continuait, et que tout était réglementaire.
« Réglementaire mon cul.
- On viendra t’égorger dans ton sommeil. »
Jimmy regarda autour de lui pour sourire à l’auteur de cette réplique élégante, mais ne vit personne en état de l’énoncer. Les squigs encore debout déféquaient de peur partout sur le terrain, à l’exception de Matteo Bruschetta, qui fonçait furibond vers le ballon.
Jimmy se lança à ses trousses pour lui venir en aide. Il percuta le gobelin de l’équipe adverse, mais ce dernier resta debout, trébucha sur la balle et se rétablit, envoyant cette dernière dans les mains d’un maraudeur juste derrière. Giorgio Canalizzazione, non loin, prit à son tour un mauvais coup, puis vint le tour de Matteo, évacué en urgence à l’infirmerie après sa rencontre avec le Minotaure, enragé et d’une efficacité redoutable. Jugeant que la situation n’était plus tenable, Jimmy fonça dans l’autre sens, s’éloignant au plus vite de ces psychopathes sanguinaires. Il passa devant Melphios, qui assomma un autre squig, et entendit l’arbitre siffler le touchdown. Alors qu’ils engageaient la balle, les joueurs de la NASA venaient d’égaliser.
Giorgio et un squig se rétablirent et rejoignirent le terrain. Giorgio n’en menait pas large, se tenant une poche de glace contre la tête, mais Vincenzo sautillait l’air assez joyeux de pouvoir retourner courir partout. Un de ses crocs était brisé, mais les autres restaient tranchants, et il paraissait décidé à s’en servir. Diego, qui avait passé encore de nombreuses minutes à résister seul aux assauts de ses opposants, encaissant les coups sans broncher et se relevant inlassablement, continuait de se comporter comme si de rien n’était. Johnny se dit que l’idée de Jimmy d’inscrire l’Organisation à cette compétition était une belle connerie. Personne pour protéger le boss, un match à gagner, et Jimmy sur la civière, complètement hors-jeu. Putain de tueur à la noix.
« Bon on garde la même stratégie, on va pas se faire baiser deux fois. Pacôme, en soutien, Tommy, tu récupères et tu me passes la balle, je trace tout droit et marque.
- T’inquiète-t’inquiète, huhu, j’ai plus d’une carte à jouer encore ce soir, répondit Tommy, confiant. Encore une fiole, et j’dois avoir un sachet de pou-poudre qui traine dans une poche !
- Ouais-ouais ben moi j’ y crois-j’y crois pas trop-trop argumenta Giorgio à son tour. M’a fait mal ce con.
- T’inquiète-t’inquiète, j’vais t’retrouver-retrouver mon grigri ! J’le cherche-cherche depuis la mi-temps, il est dans mon saaac, mon saaaac, je le sais !!! Il te protègera !
- Hein ? Hein ? C’est vrai ? demanda Giorgio, crédule - l’intelligence n’était pas sa qualité principale, mais cela pouvait être un avantage, et il était un membre fidèle de l’Organisation.
- S’il te le dit, c’est qu’c’est vrai Giorgio. Tommy va t’retrouver son fétiche, il est un peu sorcier tu sais bien, pas que chimiste. Vincenzo, tu m’lâches pas l’arbitre, s’il nous la fait à l’envers, tu le repasses. »
Vincenzo Coltello acquiesça de son grand sourire désormais ébréché.
Ils n’étaient plus que sept membres de l’Organisation. Diego se positionna sur la ligne d’engagement, prêt à cogner un des gros de la NASA. Johnny Riviera et Giorgio Canalizzazione se placèrent sur la droite, et Pacôme de Ravaillac couvrait le terrain à gauche, pour éviter que l’équipe adverse ne s’infiltre. Tommy Natta, en retrait, se préparait à réceptionner la balle dès qu’elle aurait été bottée. Vincenzo Coltello ne quittait pas l’arbitre du regard et claquait légèrement des dents à chacun de ses mouvements. L’officiel déglutit en réalisant qu’il n’était plus qu’une proie potentielle pour le squig. La NASA retenta le coup précédent, mais l’arbitre siffla cette fois-ci, et l’équipe ne put progresser dans la moitié de terrain des Mycologists. Elle en profita cependant pour replacer sa ligne de défense et contrarier leurs plans. Le ballon fut mal envoyé et donné à Johnny, qui ne pourrait cependant plus courir tout droit. Il allait falloir percer ou contourner.
Les Mycologists s’y essayèrent, mais les joueurs de la NASA étaient trop nombreux. Giorgio coucha un maraudeur sans gravité, mais ce n’était pas suffisant. Les joueurs se rapprochaient, resserraient leur étau, et les squigs commençaient à être en mauvaise posture. Il fallait contourner, c’était la seule possibilité. Alors toute l’équipe s’y employa, dans un ballet parfait. Tous les joueurs s’esquivèrent, pour échapper à leurs assaillants, et couvrir Johnny qui franchit la ligne d’engagement à gauche. Au cours de cette fuite généralisée, Tommy passa à côté de Giorgio et lui fourra un objet dans la main.
« Le fétiiiche, je l’ai retrouvé hahaha, tu vois-vois, je te l’avais diiiit !!! Quand le danger arrive, brandis-brandis le bien haut !!! »
Interloqué Giorgio finit son sprint pour voir Melphios prêt à le charger. Il réalisa qu’il était en effet le seul obstacle entre l’Ogre et Johnny.
Pris de panique, il ferma les yeux en hurlant, brandit le porte-bonheur que venait de lui transmettre Tommy et rentra la tête dans les épaules, dans l’attente d’un coup qui ne vint pas. Après dix secondes, il ouvrit un ½il et vit l’Ogre en proie à une peur panique, complètement paralysé. Il en profita pour s’esquiver sur les traces de Johnny qui filait vers l’en but, désormais gardé par deux maraudeurs seulement. Le reste de la NASA était trop loin. Johnny, aidé de Vincenzo et de Matteo, percuta le premier, qui s’effondra. Tommy et Giorgio arrivèrent à leur suite, et il ne restait aux joueurs de l’Organisation plus qu’à temporiser un peu en maintenant en respect les deux humains. Au loin, Diego se faisait bousculer, encerclé par des joueurs furieux de voir la victoire leur échapper.
« TOUCHDOOOOOOWN ! Vous l’avez pas vu v’nir, hein, sales chiens ?! »
Lorsque la voix parla, Johnny n’avait pas encore écrasé le ballon derrière la ligne. Il appuya la balle contre la terre, la lâcha, et se retourna soulagé vers ses partenaires.
Puis il ressentit une douleur aiguë au niveau du cou. Ses chairs se déchirèrent, dans une gerbe de sang et de tissus, un kyste rosâtre en sortit subitement et gonfla. Le kyste hurlait. Il gonflait, hurlait, changeait de forme.
«EGORGEZ LES PERDANTS ! »
Des yeux apparurent sur le kyste, des dents poussèrent dans la bouche qui venait de crier. Johnny était paniqué, les yeux grands ouverts devant l’horreur qui poussait près de sa tête. Lorsque l’amas de chair le regarda à son tour, il s’évanouit. Sa tête bascula mais son corps resta debout, contrôlé par la nouvelle qui venait d’apparaître.
Pacôme arriva en courant, particulièrement fasciné.
« J’te r’mercierai jamais assez toi. T’es un grand. »
Pacôme passa de l’émerveillement à l’horreur et comprenant ce qu’il s’était passé, il décida instantanément de ne plus jamais cultiver de Rigolettus Boletus.
Et de brûler les stocks de champignons séchés qu’il lui restait.
Non en fait. Tout bien mesuré, ça pouvait toujours servir. Mais la distribution généreuse d’avant match pour détendre les esprits, c’était définitivement terminé.
Le dernier engagement fut une formalité. On était dans les arrêts de jeu, et le public, séduit par la prestation de cette nouvelle équipe, avait choisi son champion. La moitié historique de ce dernier se réveilla, réalisa que ce n’était pas un mauvais rêve et s’évanouit à nouveau, tandis qu’un rocher partait des tribunes pour s’écraser sur un maraudeur. L’arbitre siffla la fin du match puis déguerpit en quatrième vitesse, Vincenzo sur ses traces.
« Il va s’réveiller c’con ?! Si dans deux minutes il pionce encore, vous m’le coupez, j’veux pas vivre avec une fiotte.
- Je pense que l’expérience est assez contrariante pour monsieur Riviera, laissez-lui un peu de temps ! tenta de négocier Pacôme.
- Mouais. On va voir.
- Pensez qu’une hémorragie pourrait aussi-aussi vous être préjudiciable.
- Mouais. T’as raison. Toujours écouter son darron, pas vrai ?! »
La seconde tête de Riviera éclata d’un rire tonitruant.
Dans les vestiaires, l’équipe se remettait doucement de son premier match. Les membres de l’Organisation étaient trop épuisés pour être réellement effrayés de ce qu’il était arrivé à l’Agent Riviera. Le Padre restait muet mais il esquissa un début de sourire. Jimmy Chirurgo, qui se réveillait sur la civière où il avait passé les trois quarts du match, s’en rendit compte.
« Hi ! Hi ! Hiiiiii ! J’vous l’avais pas diiiit patron ? Qu’çssssa vous plairait ? »
Près de la porte du vestiaire, Giorgio restait immobile, interloqué. Il ne réalisait toujours pas d’avoir survécu à Melphios. L’Ogre aurait pu le broyer, mais il avait été terrorisé par le grigri que lui avait fourni Tommy. Ce n’était pourtant qu’un bout de carton. Rien de plus qu’une carte à jouer. Même pas bonne à mettre dans sa manche pour un poker. Il y avait une image bizarre dessus, une sorte de mitrailleuse, cylindre composé de plusieurs canons de fusil. Sous l’image, un texte écrit trop petit pour qu’il puisse le déchiffrer. Il retourna la carte et essaya de déchiffrer ce qui était inscrit au dos.
« Ma-mmmmh-maaa-giques… gaaa-gat-gatlings. Magiques gatlings. Ca-ca veut dire quoi-quoi ça ? »
Aucun doute, Tommy Natta était certes un excellent chimiste, mais aussi un puissant sorcier.
« Z’avez-z’avez pas vu-vu Vincenzo ? Vincenzoooo ? Hiiiiii ?! Ah t’es-t’es là ? T’étais-t’étais oùùù ? lui demanda Jimmy, soulagé de retrouver son squig favori ? Qu’esssss-tu manges encore hein ? »
Il retira de la bouche de Vincenzo un morceau de tissu baveux et un peu sanglant. Un tissu à rayures noires et blanches.