Le soleil couchant se reflétait dans les eaux paisibles de la lagune, ondulantes lascivement sous l’effet d’une légère brise chaude venue de l’océan. Au loin à l’horizon, des oiseaux marins s’ébattaient dans les airs. Seuls l’écho de leurs cris lointains et le doux bruit de la houle venaient briser la quiétude ambiante de cette fin d’après-midi.
Assis sur le sable chaud, adossés à une barque de pêcheur fatiguée, aux couleurs criardes et à la peinture écaillée, leurs pieds velus baignés par les vaguelettes s’échouant sur la plage, deux halflings bourrus contemplaient ce paysage marin de carte postale. Ils s’abreuvaient goulument de bière fraiche tout en picorant quelques fricassées exotiques dispersées sur un énorme tranchoir posé à même le sable.
- « Aaaah, ma parole d’ancien, ça c’est d’la boisson des dieux où j’m’y connais pas ! » - s’extasia un des deux compères au visage ridé et barré de cicatrices. – « T’en penses quoi, Eggon ? »
Son compagnon lui répondit, un sourire béat sur ses lèvres, couvertes par un épais tapis de poils qui recouvraient son visage rondouillard :
- « T’as raison Tholot. On dirait vraiment l’paradis dans la gueule. On n’est pas bien là ? »
- « Ouais » - répondit son partenaire – « On est bien. »
- « Clair. On est bien, trop bien ».
- « Putain, on est bien oué ».
- « Et on s’fait chier… »
Le silence s’installa entre les deux halflings après cet échange d’une intensité philosophique inouïe. Le calme revint, les oiseaux se turent, la brise cessa et les deux amis retournèrent à leur contemplation muette de l’horizon.
Cela faisait plusieurs mois que les deux semi-hommes séjournaient dans ce beach-resort estalien pour nantis – riches marchands, mages et soldats fortunés ou bien vedettes à la retraite – un très joli endroit de la cote ouest, niché au creux d’une lagune aux eaux chatoyantes et protégé des vents par des collines bondées de cocotiers et de plantes exotiques. On y passait d’agréables journées à sa prélasser au soleil, à jouer aux cartes, et à barboter dans les eaux chaudes des bassins spécialement aménagés pour les convives. On dinait en se gavant de mets délicats et en sirotant des vins sirupeux, et on finissait les soirées un cigare au bec, en se faisant à masser le dos et parfois même le chibre, par des hôtesses avenantes et peu farouches. Le paradis.
Après quelques instants, le dénommé Tholot reprit la parole :
- « Arrête, Eggon. Je sais ce que t’as dans ton crâne d’½uf. Tu ressasses trop le passé. Tu remets ça. On est retirés maintenant. J’avoue, on a passé du bon temps avec les gars, mais c’est fini. Regarde-nous ! Deux vieux croûtons, bons à rien. »
- « N’empêche » - objecta l’autre semi-homme d’une voix empreinte de nostalgie. – « Qu’est ce que c’était bien à l’époque. Tu te rappelles ? L’odeur du terrain, la baston, les cris de la foule, les vivats, les titres de la presse, on se sentait…. vivants, non ? »
- « Putain, tu te fais du mal Eggon » - renchérit son ami. – « Oui, c’était bien, mais c’est fini. Combien de fois faut que je te le répète ? A chaque fois, tu me refais le même rôle du vétéran désabusé. Ce n’est pas toi qui parle mec, ce sont tes regrets ».
Le halfling barbu tourna lentement la tête vers Tholot et riposta :
- « Tsss, et toi, tu me rejoues constamment la même rengaine, avec ta philo à deux liards. Trop vieux, trop fourbus, bons à rien. »
- « Mais parce que c’est vrai. » - commenta le dénommé Tholot. – « C’est super de se souvenir du bon vieux temps, mais là, tu te fais du mal et tu me les brises. C’est plus de la nostalgie là, c’est de la frustration. Les rêves inassouvis d’un vieux joueur fatigué, qui estime mériter les honneurs qu’il n’a jamais reçus ».
- « Arrête tes conneries » - Eggon voulut couper la tirade de son ami, mais ce dernier ne lui laissa pas le temps.
- « Ce ne sont pas des conneries. On a eu notre moment de gloire, on a profité autant qu’on pouvait, on s’est fait plein de fric, et maintenant faut juste se la couler douce mon pote ! Et on en profite ! On l’a amplement mérité, ces vacances de rêve ! » - s’extasia Tholot.
- « Ouais, c’est ça » - objecta l’halfling grassouillet – « Tu parles de vacances. Huit ans de vacances mec. Ça commence à en faire, à la longue. Parle plutôt de prison, à mon sens. Une prison dorée, mais une prison quand même ».
- « Tu racontes que des conneries » - commenta Tholot. – « Quelle prison ? Personne ne te retient ici, non ? »
- « N’empêche » - reprit ave gravité Eggon – « Je me fais chier. Grave chier. ».
Le silence retomba de nouveau entre les deux amis. Tholot se leva :
- « Files moi ta chope. J’vais pisser, je t’en ramène une autre ».
- « Merci vieux, mais dis à la serveuse que j’veux encore cette ale d’chez nous qu’on vient de boire, pas cette vieille pisse qu’elle nous a servi la dernière fois » - dit en ricanant Eggon.
- « Ah toi et ta foutue nostalgie. Même la bière locale, t’aimes pas. T’es incorrigible ».
- « Non, je n’aime pas » - répondit posément pour lui-même le semi-homme lorsque son compagnon partit. – « M’est d’avis que tu ne vas pas non plus aimer ce que j’ai fait… »
Un sourire naquit alors sur le visage poilu d’Eggon et il se mit à rire doucement, rire qui se transforma en cris hilares puis en une véritable crise de nerfs au retour de son ami. Il ne pouvait plus s’arrêter, il riait.
Et il pleurait.
***
- « Et si on le refaisait ? » - le halfling dénommé Eggon interrogea innocemment son vieil ami sans lever les yeux de son assiette.
Ils étaient attablés sur la terrasse du restaurant-club situé en bordure de mer. Le soir était tombé et les deux compères décidèrent de finir la journée par une bon repas dans leur endroit favori – un cabaret tranquille servant une cuisine raffinée, fréquenté par les riches marchands locaux et des rentiers venus se détendre avant d’entamer les festivités qui s’annonçaient comme chaque soir. Ils soupaient de palourdes au citron et à la coriandre et de moules marinées à l’ail, arrosant le tout d’un blanc estalien de premier choix, lorsque Eggon posa la question qu’il ne fallait visiblement pas.
Tholot soupira bruyamment, posa calmement sa fourchette au bord de l’assiette, s’essuya les doigts et se massa les tempes.
- « Eggon. On ne peut pas. On est trop vieux, trop cassés, oubliés. Et puis on est bien là, la belle vie, la bonne bouffe, le soleil, les filles. Te faut quoi de plus ? »
Le halfling rondouillard regarda son ami en répondant :
- « Trop vieux mon cul. Je pète la forme, tout comme toi. Me raconte pas de conneries. Je t’ai surpris à de nombreuses reprises à te bouger le derch’ le matin, t’entretiens ton gros bide tout comme moi. A d’autres Tholot, à d’autres. »
- « Ca ne veut rien dire… »
- « Oh que si » - le coupa Eggon – « T’en rêves de remettre ça. T’en rêves tout comme moi. Mais avec cette différence que t’as peur, voilà tout ! »
- « Conneries… »
- « Non, je sais ce que je dis. On n’est pas trop vieux. Ça fait quoi, huit ans qu’on a arrêté ? En pleine forme qu’on était. Et on l’est encore aujourd’hui. Me faut quoi de plus ? J’ai tout ici, oué, et je me fais chier ! Je veux d’la baston, de la vraie, avec du sang. J’veux tâter du terrain, j’veux entendre l’effervescence de la foule, j’veux sentir l’adrénaline, la vraie, celle qui te bouffe les nerfs et qui te fait chier dans le froc, j’veux voir les adversaires dans le blanc des yeux, j’veux faire suer les connards d’en face, les faire rager, les entendre grincer des dents… »
- « Les dents, c’est toi qui vas les perdre mon vieux si tu retournes sur le terrain. C’est ce que tu veux ? » - objecta son ami. – « Ok, je l’avoue, ça me manque aussi tout ça. Mais que veux-tu faire ? C’est trop tard maintenant. On est deux croûtons, deux vieux schnocks esseulés. Et on est des halflings. Des half-lings. Des putains de mi-portions qui ont, à un moment donné, eu un gros bol de tomber sur une bonne team et un coach qui en voulait. Mais y’a plus d’équipe. Y’a plus d’hommes-arbres, y’a plus de coach, y’a plus personne… »
Eggon leva alors les yeux vers son comparse, et un sourire béat apparut sur ses lèvres grassouillettes :
- « Y’a plus personne… ? Tholot, mon pote. M’en veux pas trop. J’crois que j’ai fait une connerie. Regarde plutôt par-là » - dit-il en désignant le comptoir et en pointant son doigt boursouflé vers un homme trapu, vêtu d’une houppelande grise, qui leur tournait le dos.
***
- « T’as pas fait ça ?! » - s’étrangla l’halfling ridé. – « Ne me dis pas que t’as osé faire ça ! Sans m’en parler ! Comment ? Comment t’as réussi à le retrouver ! ».
Visiblement choqué, Tholot criait presque, brisant la quiétude des lieux et faisant se retourner de nombreuses têtes des clients du restaurant, visiblement agacés par le ton soutenu de la conversation des deux amis.
- « Bonsoir Tholot. Salut Eggon » - une voix familière et quelque peu plus enrouée que dans leurs souvenirs résonna dans le dos de Tholot. Ce dernier essaya de calmer ses mains tremblantes et les posant à plat sur la table. Il ferma les yeux et répondit d’une manière grave :
- « Bonsoir coach. »
- « Hey coach » - répondit jovialement Eggon. – « Ça fait un bail ! »
- « Putain ouais » - accentua l’humain sur un ton sarcastique. – « Elles m’ont manqué, vos gueules d’bouzeux. »
- « Et que nous vaut le plaisir de votre visite ? » - l’interrogea d’une manière faussement désinvolte Tholot. Le nouveau venu plissa le front : « Ça alors, il ne t’a rien dit Eggon ? Hein, mon vieux, tu ne lui as pas parlé. Tu ne lui as rien dit du plan ? Putain, j’en étais sûr. Alors là, c’est l’pied. Il ne sait vraiment que dalle l’Ancien ?! »
Tholot baissa les yeux et répondit gêné :
- « Vous savez comment il est. J’ai pas trouvé le bon moment. J’voulais pas brusquer les choses… »
- « Ça suffit ! » - gronda Tholot les lèvres plissées. – « Dites-moi de quoi en en retourne, merde, avant que j’pète un câble ».
- « Calmes toi Tholot » - lui répondit posément l’autre semi-homme. – « L’coach, il va tout te dire. Calme-toi ».
- « Ouais, j’vais tout te dire p’tit bonhomme » - répondit le dénommé Duda – « On revient dans la partie ! »
Sur ce, il se mit à rire, d’un rire jovial, d’un rire profond et franc, ce rire qui emporte tout sur son passage, qui entraine les foules et fait tomber les barrières. Et alors, les deux compagnons surent qu’ils étaient pris, piégés, volontairement ou non, et qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible.
***
Revenus dans leur suite, les deux halflings se remettaient de leurs émotions en sirotant un cognac bretonnien adipeux à souhait, affalés dans des fauteuils en vieux cuir capitonné. En vérité, la discussion avec leur ancien coach avait tourné court. Si, au début, Tholot refusait catégoriquement toute évocation, ne serait-ce que minime, d’un retour aux affaires, il se fit rapidement à l’idée qu’il n’avait pas véritablement de choix. Il sentait que, quelque part, dans son petit cerveau tortueux, abimé par des années de coups à la tête, de cabosses, de châtaignes, d’alcool et de tabac, l’idée de refouler les pelouses germait calmement, attendant son heure pour surgir. Il lui fallait simplement un coup de pouce, un signe du destin, un élément externe qui la ferait jaillir telle la lance vengeresse de Kurnous (ou le chibre à Eddie face à un puceau), et cet élément s’était justement présenté ce soir, sous l’apparence d’un vieil humain desséché et dégarni, à la voix enrouée et au regard de glace, dont l’apparition pétrifia Tholot autant qu’elle le ravit.
Les dés étaient jetés. Le Reik avait été franchi. Oui, il le sentait maintenant, cette démangeaison sourde et insistante dans ses os et sous sa peau, cette onde de picotements qui lui descendait parfois l’échine, se fit bien plus forte et bien plus perceptible ce soir. Et, le pire, elle ne cessait depuis qu’il avait revu l’ancien coach. Il fallait qu’il se rende à l’idée – oui, il avait envie, très envie de revenir dans la partie. Il avait peur aussi. N’était-il pas, après tout, qu’un vieil halfling rabougri, qui a risqué sa peau (et plus encore) à chaque match, qui a eu bien de la chance d’en sortir vivant et intact d’une saison plus qu’éreintante ? Tout cela était vrai, plus que vrai. D’autres n’ont pas eu cette chance. Certes, le Real Boitar fut l’équipe en vogue du championnat, certes ils attiraient les foules, les sponsors et les journaleux. Certes, l’argent coulait à flots et les nanas se couchaient à leurs pieds. Mais ça avait duré combien de temps en vrai ? Une demi-saison à peine ? Et ça remontait à un bail – personne ne se souvenait plus d’eux. Et le pire dans tout ça, c’était qu’ils en avaient chié, vraiment chié.
C’est que le coach, ce n’était pas Bozo le Rigolo. Il leur en a fait baver durant les entrainements. Il leur a rentré d’la tactique dans le crâne, et à coups d’poings la plupart du temps. C’était un bon coach, mais sévère et dur avec ses joueurs, et colérique de surcroit. Alors, fallait-il retenter le diable ? Fallait-il de nouveau trimer tous les jours, à s’arracher les tripes sur la pelouse ? Risquer à nouveau sa peau et bien plus – son honneur – pour ressentir ce frisson d’adrénaline que ne pouvait procurer qu’un match de Blood Bowl ? Il n’en était pas certain, mais pardi ! Eggon avait raison ! Depuis qu’ils avaient raccroché les crampons, ils avaient profité de plaisirs que leur apportait le magot qu’ils avaient emmagasiné, mais ils s’emmerdaient dans ce lieu de retraite pour dandys arrogants, cet havre ou tout n’était qu’artifice et faux-semblants, rempli de pédants, de faux-culs et d’idiots vaniteux. En quelques phrases, le coach a su lui redonner le goût du combat, la soif du terrain, l’envie d’en découdre ! Par quel tour de magie cet acariâtre humain a pu, si rapidement, réveiller le joueur de Blood Bowl qui se terrait au fond des tripes de Tholot, restait un mystère. Mais il avait réussi !
Lâchant quelques ronds de fumée de cigare, Tholot sortit de ses réflexions en demandant à son ami :
- « Comment qu’on fait alors ? »
- « Comment qu’on fait quoi ? » - lui répondit ce dernier.
- « Quoi, quoi ? Comment on rentre dans la danse, merde. On parlait de quoi à l’instant ? D’installer un atelier de découpe de volaille ? De monter un bar à putes ? Merde Eggon. »
- « Bah, t’as écouté Duda, non ? On remonte la team ! » - s’extasia ce dernier.
- « Et par quels moyens, tu peux me le dire ? Nous ne savons pas où sont les autres gars, ni ce qu’ils font, comment va-t-on faire ? Se faire chier à recruter des bleus, les motiver, les former, non merci. Nous n’aurons jamais le temps avant le début de la nouvelle saison. Sans parler des hommes-arbres. » - répliqua avec dépit Tholot.
- « Pas besoin » - Eggon lui fit un clin d’½il avant de se lever de son fauteuil. Il s’approcha d’une commode stylisée posée dans un coin du salon, ouvrit un tiroir et en sortit une boite en bois sombre, somme toute assez volumineuse, dont le couvercle était recouvert de dorures à motifs complexes.
- « Vois-tu » - continua l’halfling poilu – « Moi aussi, j’ai mes secrets. » - Sur ce, il sortit de la boîte une pile de parchemins reliés avec un épais ruban rouge et les tendit à Tholot. – « Les gars, nous savons où ils sont… » - conclut-il avec un large sourire.
***
- « Et t’avais tout ça sans jamais m’en parler, sans, ne serait-ce qu’une seconde, évoquer la question avec moi ? » - Tholot faisait les cent pas dans leur salon, en fulminant dans son double menton, les mains tremblantes de rage.
Il avait parcouru avec attention et fébrilité les missives que lui avait passées son compère et il ne pouvait croire ce qu’il découvrait. Il s’avérait qu’en réalité, Eggon n’avait jamais coupé les ponts avec le coach, et qu’ils correspondaient régulièrement. Leur plan de remonter l’équipe ne datait pas d’hier, si l’on peut dire ainsi, dans la mesure où Duda avait suivi discrètement (les démons savent par quels moyens impies il s’y était pris !) tous ses anciens joueurs du Real Boitar et disposait d’un dossier personnel sur chacun d’eux. Et Eggon le savait ! Et Eggon n’avait rien dit ! L’enculé d’bâtard !
Cependant, heureusement qu’il était là, l’enfoiré. Heureusement il n’avait rien dit à Tholot, parce que, ce dernier aurait tout fait pour l’empêcher de correspondre avec le coach, il aurait exigé de tout jeter au feu, d’écrire à ce dernier qu’il pouvait aller pomper le dard à Slaanesh (ou au Doc’, au choix), et qu’il n’était pas question d’une quelconque idée même de remettre un crampon sur leurs pieds velus d’halflings, et ce même pour un match d’exhibition grassement payé.
- « Putain Eggon » - rouspéta l’ancien – « T’es qu’un salopard de première, mais j’peux pas t’en vouloir. Cacher tout ça pendant tant d’années. Putain, vous l’avez sacrément bien préparé le plan, avec le coach, dis-moi. C’est quoi la suite alors ? »
Hilare, Eggon se grattait le nez en répondant – « On part demain mon pote. A la première heure. Hé oué. Tout est prêt. Les gars ne le savent naturellement pas, mais nous allons les chercher, tous les trois ! ».
- « Tout est prêt, sans déconner ?! » - Tholot n’en revenait pas de ce qu’il découvrait. – « Comment ça ? Nos affaires ? Comment on voyage ? Quel planning ? Faut encore trouver un terrain, non ? Les sponsors ? Le staff ? Et les formalités d’inscription à la ligue ? Putain, mais Eggon, réveilles-toi ! Y’a un travail monstre à faire encore ! »
Soudain, la porte d’entrée de leur suite s’ouvrit à la volée et leur ex-ex-entraineur apparut sur le seuil. – « Calmes toi l’Ancien. Ne t’inquiète pas pour ça. J’ai tout arrangé. Tu crois vraiment que je serais venu vous chercher sans rien préparer à l’avance ? Tu crois que je me suis juste astiqué le gland pendant tout ce temps-là sans rien faire ? Quand Eggon te dit que tout est prêt c’est que tout est prêt. J’y ai veillé. Arrête donc de claquer d’la vulve pour rien. Vous n’avez plus qu’une mission, c’est de remonter la team, c’est d’aller chercher les gars là où ils sont et leur sortir les doigts de leurs gros culs ! Pour le reste, vous me laissez faire. » - Il s’avança dans la pièce et se servit une grande rasade de cognac posé sur la table-basse du salon. Il but le verre d’un trait et annonça d’une voix empreinte de gravité, le dos tourné aux deux-semi hommes, regardant par la baie-vitrée la nuit qui tombait dehors, éclairée faiblement par les lampions qui brillaient au loin dans le club-house où la fête battait son plein :
– « Je sais à quoi vous pensez les gars, surtout toi Tholot. Je sais ce qui trotte dans vos deux vieilles caboches torturées. Et ce qu’on ne fait pas une grosse connerie ? A quoi ça rime tout ça ? Courir après un ballon à la con tout en risquant de se faire fracasser à tout instant par ces connards de la Lutèce ? Quel intérêt, non ? Mais, je crois que je n’ai pas vraiment besoin de répondre à cette question. Ne vous inquiétez pas les rase-mottes. Ça va se passer différemment, cette fois-ci. Je vous donne ma parole. » - Il se tourna alors vers eux et les regarda droit dans les yeux, chacun leur tour.
– « J’ai un plan. Un putain d’plan. »
***
Ils furent réveillés à l’aube par des cris irascibles venant de sous leurs fenêtres, lesquelles donnaient sur un petit jardin botanique aménagé, où s’écoulait – d’habitude paisiblement – un minuscule ruisseau, formant ça et là des bassins d’eau remplis de nénuphars et de poissons exotiques. Mais en cette heure matinale, le bruit du cours d’eau était couvert par les hurlements de putois d’une voix qu’ils ne connaissaient que trop bien :
- « Tholot ! Eggon ! Debout tout de suite tas de fouille-merdes ! A moins que vous ne vouliez que j’vienne vous tirer du lit par ce qu’il vous reste de bourses ! »
Assoupi, Tholot renâcla dans son lit en se redressant, tout en se frottant les yeux :
- « Putain, ça fait à peine quelques heures qu’on l’a revu, et il nous fait chier déjà… J’sens qu’on fait une connerie là… »
- « Oh putain. Dur. » - répondit son ami en se levant difficilement de son lit – « On a juste plus l’habitude. Tu sais comment il est. On a de la route à faire aujourd’hui. » - sur ce, il ouvrit la fenêtre et fit signe à l’agitateur pour lui signifier qu’ils étaient bien réveillés.
- « Magnez-vous le derch’ les gars ! » - hurlait ce dernier comme si de rien était – « Et ne pensez pas que je vais vous laisser bouffer à votre guise. On monte en selle et on y va ! Vous mangerez en route, bande de goinfres ! »
- « J’te jure » - persifla Tholot – « J’continue de croire que c’est une connerie… »
Ils firent rapidement leur toilette, empaquetèrent leurs derniers bagages et se hâtèrent de descendre, jetant, avec un certain pincement au c½ur, un dernier coup d’½il à l’entrée du salon de thé où ils avaient l’habitude prendre leurs petits-déjeuners. Une fois dehors, ils firent face à leur nouveau compère dont le visage s’éclaira d’un sourire vorace :
- « Ça, c’est des bons gars, gentils, serviables et tout. Mais c’est qu’ils m’ont écouté, merde ! Je n’y crois pas ! »
Tholot en resta bouche-bée :
- « Vous voulez dire qu’on s’est magné pour rien ? C’était un test, c’est ça ? Merde, coach, vous faites chier là, vraiment chier ! »
- « Ouais, c’est dur » - enchérit son ami halfling – « Vous auriez pu au moins nous laisser manger un peu coach… Du coup… on peut retourner à la cafet’ ? »
L’humain sourit à pleines dents :
- « Non, puisque vous êtes là, on y va ! Y’a de la bonne galette d’avoine dans les sacoches, vous allez vous régaler les mecs ! » - sur ce, il poussa un rugissement hilare, leur tourna le dos et s’en alla en direction des écuries.
Arrivés sur place, les deux halfings virent leurs montures déjà sellées et préparées pour le voyage. Deux mulets gris attendaient paisiblement près des box, et un troisième, portant tout un tas de paquetages, broutait un bout de pelouse non loin. Pour sa part, le coach grattait l’encolure d’une vieille et très moche jument à la robe alezane visiblement sale, et à la crinière hirsute, qui émettait des bruits somme toute étranges, entre le hennissement d’un cheval asthmatique et le rire d’une hyène alcoolique.
- « Ah, ils sont là, ma belle. T’es prête ? » - il sauta avec agilité sur le dos de la jument, laquelle piaffa de manière encore une fois très singulière, en répandant de la morve et de la bave gluantes tout autour d’elle, visiblement impatiente à l’idée du trajet qui s’annonçait. – « Allez les mecs, vos montures sont prêtes ! »
- « Il a l’air bizarre vot’ canasson, coach » - s’étonna Eggon avec un certain dégoût – « Qu’est ce qu’elle a à rire comme ça ? »
- « Bah non » - répondit l’humain – « L’est normale c’te vieille carne, elle rigole juste tout le temps. »
Les deus halflings se regardèrent quelque peu circonspects.
- « Elle a l’air de s’marrer, ouais. Et vous l’avez appelée comment, du coup ? » - demanda Tholot.
- « La Marrante. Je l’ai appelée la Marrante ».
***