Laerthis
RAMDAM DANS LES EGOUTS!
- Chapitre 1 -
Fini le temps où nous pouvions nous entraîner sereinement en nous rappelant les leçons de nôtre maître. La quiétude de nos égouts n’est plus. Il y a bien eu quelques signes avant-coureurs qui auraient dû nous mettre la puce à l’oreille, mais nous n’en avons pas tenu compte. Il faut croire que le calme précède véritablement toujours la tempête, et dans notre cas, ce calme nous a endormis.
Mikey Big Bouffe a été le premier à se douter d’un truc : la fin des promos chez Grodino’s Pizzas. Nous nous sommes gentiment moqués de sa gueule de tortue, mais voir la fin du monde dans celle des deux pizzas achetées, la troisième et un coca offerts, fallait pas pousser.
Puis Scaraphaello a commencé à faire des bruits gutturaux étranges. Avec Donatello du Lac, on a cru à un rhume, car on avait remarqué une baisse de la température dans nos égouts depuis deux semaines. Mais il nous a fallu nous rendre à l’évidence : cela n’avait rien à voir avec une bonne crève. Scaraphaello croassait. « Crôa, crôa ». Et ça l’énervait en plus. D’ordinaire, il nous déjà pète une durite pour pas grand chose, mais là impossible de comprendre la source de son énervement.
« CRÔA ! CRÔA !
- Mais CRÔA quoi ? lui répondis-je, exaspéré
- CRÔACOUBEH !!!!!! »
Après la grenouille, la chèvre. Nous n’étions pas sortis d’affaire.
Puis sont venues les rumeurs. Au début, des bruits infimes, à se demander s’ils n’étaient pas plutôt le fruit de notre imagination. Scaraphaello n’avait pas d’autre avis que "Crôa Crôa" et MBB ne cessait de pleurnicher en pensant à Grodino’s. Avec Donatello, nous ne pouvions désormais compter que sur nous-mêmes.
Puis ils se sont intensifiés, petit à petit. Nous avons laissé nos frères à la maison, un peu inquiets tout de même, puis nous sommes partis fouiner du côté du 27ème bloc, car les sons étranges nous semblaient provenir de là. En nous rendant dans cette direction, nous avons retrouvé la torpeur sous-terraine que nous connaissions : en effet, ça s’était bien refroidi par chez nous.
Et là, au détour d’une canalisation déversant une eau verte et phosphorescente, nous avons croisé une sorte de grand singe chauve, arborant une barbe crasseuse. Un Yéti qui aurait vu les poils de son crâne migrer vers ses joues et son menton. Il pataugeait dans l’eau en éructant, ricanant, et une horde de petites bestioles venaient derrière, comme des gnomes au visage vert malfaisant. Nous les avons suivis quelques temps, sans nous faire remarquer. Arrivés près d’une plateforme émergée où brûlait un feu de camp, le Yéti et sa cour sont sortis de la fange pour rejoindre six énormes rats qui discutaient.
« Ssssi on doit y aller ! Elles sont belles-belles, dit un rat géant drapé dans une cape noire.
- Mais raconte ! Dis-nous tout, oui-oui !
- Csss’est à l’eesssst d’isssssi. Il faut courir. IIIK ! Mais attention-attention ! Il y a les choses-tortues sur la route, elles sont dangereuses ! Non-non, il ne faut pas qu’elles nous voient, elles ne doivent pas savoir que nous sommes ici !!!
- Et c’est combien ? Combien ?
- Peut-on y aller tous les sssssix ?
- Y a-t-il du choix ?
- Belles comment ?
- SSSSSS ! Il y en aura pour tous ! C’est immense, immense ! Beaucoup de choix ! Beaucoup ! Des femelles bien fraîches ! Pas chères ! La Marquise nous fera une remise qu’elle m’a dit ! »
De retour chez nous, la scène qui se jouait sous nos yeux était affligeante.
MBB pleurnichait devant un bon de réduction « Menu soirée foot » tandis que Scaraphaello tournoyait autour en hurlant « CRÔA CRÔA ! T’AS LES CRAMPTES, T’AS LES CRAMPTES ! CRÔACOUBEH !!! ».
Nous décidâmes de les embarquer avec nous pour notre expédition vers l’est et cette mystérieuse Marquise. Bien que passer inaperçus avec nos deux frères tourmentés s’avèrerait plus compliqué, nous espérions qu’un peu d’action leur permettrait de retrouver leurs esprits.
Au fur et à mesure de notre progression, l’air, cette fois-ci, semblait plus froid. Après deux kilomètres, nous débouchâmes sur une immense salle souterraine, qui semblait avoir été creusée récemment dans le secret le plus absolu. D’immenses climatiseurs rafraîchissaient l’air, expliquant le gradient parcouru dans les deux sens dans la journée. Notre repère était donc situé en plein milieu de l’axe entre cette salle et la tanière du Yeti.
Cette caverne monumentale abritait en plus des climatiseurs six grosses bâtisses et grouillait d’hommes-rats, semblables à ceux rencontrés plus tôt, à la différence que ceux-là étaient vêtus plus richement, et il n’y avait pas trace d’un seul gnome vert par ici.
L’une d’elle, décorée avec beaucoup de mauvais goûts et de néons roses présentait un immense panneau où était écrit « CHEZ MADAME SLAD, MAIZON DES PLAISIRS ». Sur le perron se tenait droit un énergumène en froufrous à l’air malhonnête, canne à la main, hélant les passants en leur vantant les qualités de son établissement. A ses côtés, un rat bedonnant et rabougri, à l’½il lubrique, acquiesçait à chaque parole de son chef.
Après nous être faufilés sur le toit sans nous faire repérer grâce aux techniques ancestrales du ninjutsu, nous nous penchâmes pour les écouter.
« VIANDE FRAAAÎCHE, SSSSSENSUELLE ET SSSSSUCCULENTE, VENEZ, VENEZ MES MIGNONS, VIENS MON GRAND, LA MARQUISE TE FERA UN RABAIS !
- Oh oui, venez, venez, c’est bien, c’est en bonne sssssanté !
- Tais-toi Azzroag, tu fais fuir les clients avec ton ssssale mu-museau !
- Pardon Marquise pardooooon !
- Laisse-moi faire vaurien, tais-toi ! Où est csssse que tu te crois ?
- CRÔACOUBEEEEEH ! »
Et tandis qu’un immense sourire barrait le visage de Scaraphaello qui venait de hurler, un immense silence se fit dans la caverne, et toutes les têtes se tournèrent vers nous.
« DES INTRUUUUUUS !!!! DES ESSSSSSPIONS SSSSSUR MON TOOOOIT ! »
La marquise vociférait et tandis que la majorité des rats partaient en courant en hurlant, d’autres, soit bien plus gros, soit protégés par de lourdes armures, accoururent pour nous déloger.
La bagarre fut féroce, et une quinzaine de rats furent mis au tapis en quelques minutes, mais l’afflux ne cessait pas.
MBB sembla oublier un instant que Grodino’s Pizzas lui avait brisé le c½ur, Scaraphaello ponctuait chacune de ses frappes d’un « T’AS LES CRAMPTES ! », Donatello du Lac démontrait à tous pourquoi il était le numéro 1 mondial au royaume des rats, et quant à moi, je commençais à regarder par où nous pourrions bien nous échapper avant de finir noyés sous la masse.
Le bâtiment le plus proche était accessible moyennant un saut de quelques mètres, un jeu d’enfant pour des combattants de notre acabit. Je l’indiquais à mes frères et nous franchîmes d’un saut le vide qui nous séparait du « FUNKY DUNGEON ». Mais dans la pénombre de la caverne, sous la crasse et la poussière, ce n’était pas de la pierre mais une verrière. Elle céda sous notre poids et nous tombâmes au centre d’une étrange salle circulaire, pleine de chaînes, de chevalets, de piques et de cuir noir, aux pieds des deux tenanciers (nous l’apprendrions plus tard). Ils étaient en train de s’occuper d’un client à l’air déterré, le teint gris, les yeux cernés, qui sentait le cadavre et avait la bouche encombrée d’une énorme boule rouge.
« Aredhel, mon mignon, Monssssieur Haktar avait réservé pour ciiiiinq ?
- Non Eddie-Chéri, jussssste pour lui. Mais plus on est de fous…
- Plus on jouit ! Eteins la lumière ma donzelle, on va jouer dans le noir !
- Monsieur-monsieur Haktar, ne vous inquiétez pas, c’est la maison-maison qui offre ! »
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Dans son repère, celui qui se faisait appeler SSB observait la scène qui se jouait dans le noir sur un des nombreux moniteurs de sa salle de contrôle. Une mouche, passant par-là, se posa sur l’écran, attirée par la lumière. Elle sentit une forme immense foncer sur elle, tentacule rose gluant qui la plaqua contre le verre, avant de la tirer en arrière vers des abysses dont elle ne ressortirait pas vivante.
SSB déglutit, satisfait de cette friandise qu’il venait de gober.