CHANGEMENT DE PLAN
« Sans reroll la fête est plus folle » - vieux proverbe halfling
C’étaient les derniers instants du match, les ultimes soubresauts de cette bête abjecte qu’est une rencontre de Blood Bowl, dont les râles l’agonie faisaient trembler le c½ur souffreteux de tout un stade ; le fameux « money-time » – ce laps de temps indéfini d’épique intensité commençant toujours par la dernière action et s’achevant avec la sentence d’un coup de sifflet au destin libérateur ou cruel, mais toujours brutal…
Il ne restait donc que quelques secondes avant que l’arbitre ne fasse retentir le son aigu de son engin de malheur, mettant fin à la pièce de théâtre qui achevait son existence dans un râle d’agonie devant les yeux médusés d’une foule abasourdie. Ce soir-là, les spectateurs massés sur les gradins du stade demeuraient en effet cois, bouches ouvertes et haletants d’appréhension, leurs c½urs palpitants face au suspense qui se déroulait sur la pelouse, suspendus aux lèvres de l’homme en noir. Ils venaient en effet d’assister à une rencontre mémorable, à un véritable spectacle dramatique, une tragi-comédie pleine de rebondissements, d’actions d’éclat, de reversements de situation, de coups fourrés, de gestes ratés, de violence et de sang – bref, à un de ces moments d’histoire que seul le Blood Bowl peut offrir.
Et ce n’était pas fini ! Il restait en effet ces quelques secondes pour une action d’anthologie !
Sous une averse drue et sur un terrain détrempé, transformé peu à peu par l’ardeur des combats en fange puante mêlant eau de pluie, sang, gazon, salive et autres secrétions, une main halfeline, menue et velue, se saisit tout à coup du ballon en cuir, qui reposait calmement dans une flaque, dans laquelle il atterrit suite au coup de pied de renvoi effectué par les restes des joueurs de l’équipe humaine des Chrissou Team Revival.
Bien que l’intensité de l’atmosphère ambiante atteignait son paroxysme, et malgré les conditions climatiques complexes, le semi-homme fit preuve d’une assurance surprenante. Le visage fermé, concentré sur sa tâche tel un parangon de tranquillité, calme et stoïque, il coinça le cuir sous son bras charnu et courut en direction d’un camarade démarqué, proche de la ligne médiane. Pendant ce temps-là, ses collègues faisaient le ménage au milieu de terrain, repoussant le premier rideau de défense humaine. Le ballon fut impeccablement transmis au halfling libre de tout marquage et la foule retint son souffle…
Voilà que le porteur du cuir était cueilli avec une étonnante douceur par l’un des deux hommes-arbres qui accompagnait l’équipe halfline et – projeté avec vigueur – il s’envolait vers la moitié de terrain adverse.
Le silence se fit alors total, le temps suspendit sa course, le c½ur du stade cessa de battre, l’air ambiant sembla se figer, le vent cessa de souffler, les oiseaux se turent et à Kislev une femme hurla – son lait venant de déborder de la casserole posée sur le feu – c’était comme si la nature elle-même s’interrogeait, comme si elle se demandait s’il fallait permettre à ce petit être de défier les lois de la physique, s’il lui était permis d’accomplir sa destinée…
Or, le halfling volait dans les airs, jambes bien droites, une main agrippant la balle, l’autre tendue vers l’avant, le poing serré, le visage trempé par la pluie tourné vers le ciel. Il volait, volait dans cette posture figée de héros des temps mythiques. Pour lui, tout semblait se dérouler au ralenti. Il vit les sauts extatiques du public, il aperçut les visages crispés de ses coéquipiers, il lorgna sur la silhouette de son coach – impassible, les bras croisés, la bouche grimaçante en un rictus hargneux – il entendit, de loin et comme de derrière une vitre, l’incompréhensible vague d’hurlements rageurs en provenance des gradins… Ces quelques secondes de voltige semblaient une éternité pour lui. Il avait pourtant les idées claires, l’esprit déterminé, le c½ur apaisé et contrôlant parfaitement sa poussée d’adrénaline, le halfing décrivit une parabole parfaite, puis il atterrit paisiblement, une main devant et un genou posé au sol.
Il releva la tête et le temps reprit alors son cours normal. Soudain, tous les sens lui revinrent. Le vacarme ambiant explosa dans ses tympans – la foule beuglant tel un troupeau mené à l’abattoir – l’odeur du gazon et de la boue lui frappant le nez, l’eau de pluie dégoulinant dans ses yeux et dans sa bouche… Mais, dans cette ambiance de fin de monde, il demeura imperturbable. Avisant le bord du terrain adverse, il fonça de toute la force de ses petits pieds vers cette ligne de démarcation, vers ce paradis perdu, cet Eden du bloodbowleur qu’était la zone d’en-but. Véritable étalon furieux, tornade inarrêtable, puissant destrier, il dépassa ses adversaires estomaqués – incapables de l’arrêter – et ne s’arrêta qu’une fois la ligne finale franchie, en agitant sa main boudinée avec joie en direction des spectateurs. Le Real Boitar venait de marquer son troisième Touchdown du match ! Le public explosa littéralement, les gradins tremblèrent, le stade se mit à vibrer dangereusement, à Kislev une femme poussa de nouveau un cri, et sur la pelouse, les halflings se tombèrent dans les bras. L’incroyable scénario se produisit. L’équipe halfling venait de prendre l’avantage et, sauf l’extraordinaire, ne pouvait plus être rattrapée au score. Grâce à cette ultime action d’éclat, le Real Boitar avait le match gagné. Les vétérans de la Lutèce venaient de refaire leur coup, ils avaient une nouvelle fois déjoué tous les pronostics, ils avaient de nouveau ri de l’adversité, attrapé le diable par les cornes et trompé le destin.
Ils l’avaient fait – de nouveau – tout simplement !
***
Pourtant, une semaine auparavant, rien ne laissait à penser que l’impensable allait se produire. A l’issue de la rencontre contre les Hashut’s Sons, les mines halfelines étaient grises, l’ambiance lugubre, et le coach couvait une colère froide qui ne présageait rien de bon.
La situation empira lors de la traditionnelle conférence d’après-match. Les visages faussement peinés, les sourires moqueurs et les commentaires pleins d’emphase de la masse des journalistes faillirent sortir le coach Duda de ses gonds. « Tout ça pour ça », « Beaucoup de bruit pour rien », « Pourquoi revenir ? » ou encore « Ces halflings devraient savoir remettre le couvercle » - tels étaient les gros titres de la presse sportive après la première journée de la Lutèce Cup. Le Real Boitar commençait le championnat dans une atmosphère allant de l’indifférence relative (pour les journaux les plus affables) à une critique virulente (pour les tabloïds à scandale).
Forcément, ça ne plaisait ni aux joueurs ni à leur coach. Malgré tout, ce dernier absorba toute la critique, essayent tant bien que mal à protéger son équipe, et en rejetant l’entière faute sur ses épaules. Il expliqua ainsi aux journalistes qu’il s’était trompé de stratégie, que ses joueurs n’étaient visiblement pas encore prêts, il pesta contre le calendrier qui leur faisait rencontrer des adversaires très compliqués dès l’entame du championnat, et argumenta sur l’absence des joueurs blessés… - bref, il servit aux journalistes la même soupe tiède que servent tous les entraineurs après une sévère défaite.
Mais la réalité des faits était visible comme une verrue au milieu d’un visage de troll. Le Real Boitar n’était pas taillé, n’était plus taillé, pour concurrencer les autres équipes dans l’intensité d’un match. Il leur fallait donc ruser. C’est pourquoi, alors qu’ils étaient rentrés dans le vestiaire après ce premier match, têtes basses et visages crispés, le coach demeura calme et posé. Pour la première fois, il n’explosa pas de rage, ne fit pas montre de son caractère colérique, et dit une seule et unique phrase :
- Ramenez-moi notre cuistot, et vite !
Lorsque ce dernier fit son apparition dans le vestiaire, accompagné de manière courtoise, mais ferme, par Calben et Eggon, le coach Duda tourna son regard vers lui. Il s’en approcha d’un pas raide et sans dire mot, à la grande surprise de toute l’équipe, décrocha une monumentale torgnole en plein dans le visage du chef cuisinier. Le halfing tomba sur son arrière-train, perdant sa toque sous le choc, la lèvre fendue et le nez en sang.
- Mais qu’est ce qui vous prend, vous êtes malade ? – glapit-il en direction de l’humain de sa voix grave et grasseyante.
- Dis-moi l’marmiton, on te paye combien déjà ? – le questionna le coach, le visage crispé, les lèvres retroussés.
- Ppppourquoi cette question ? – lui demanda le chef, visiblement stupéfié.
- Cent mille pièces d’or par match il me semble. Cent mille. Tu sais ce que j’aurais pu acheter avec ça ? – continuait le coach, imperturbable.
- Mais je les vaux ! Et c’était notre arrangement ! – s’offusqua le halfling toqué. – Vous vouliez un maître cuisinier et vous en avez un ! Personne n’arrive à la cheville de Roël Jobuchon, personne ! – le halfling ne s’en laissa pas compter.
- Putain, t’avais qu’une seule mission, une seule, et tu l’as foiré ducon ! – siffla l’humain avec colère.
- Mais pas du tout ! Vous racontez n’importe quoi ! Je vais me plaindre au syndicat ! Je vais remonter à la ligue, vous ne vous en tirerez pas comme ça ! J’ai fait ce que vous me demandiez ! J’ai préparé un ragoût parfait ! Un plat digne des plus grandes tables de la capitale ! Et vous me violentez ? Ça ne va pas se passer comme ça… – riposta le halfling alors qu’un nouveau coup de poing sec le faisait taire. Cette fois-ci, il tomba à la renverse, l’arrière de son crâne heurtant violemment le sol. Mais le coach ne lui laissa pas de répit. Il le saisit par la chemise, le redressa et le secoua violemment.
- Le ragoût était pour nous. Pour nous seulement ! Pas pour les deux équipes. Ton rôle c’était de préparer d’la mélasse mélangée à d’la merde pour les connards d’en face, et non pas leur servir du ceviche de b½uf au thym, espèce d’enflure ! – hurla-t-il en direction du chef cuisinier.
- Jamais de la vie ! Jamais je ne pourrai faire ça ! Il en va de mon honneur de cuisinier ! Je tiens à ma licence moi ! J’ai une opinion à tenir moi Monsieur ! Jamais vous ne me verrez faire ça ! Jamais ! – s’emporta le halfling.
Le coach se redressa et le reluqua médusé, clignant des yeux, une manifeste appréhension dans le regard.
- Bon les mecs, j’crois qu’il n’a pas compris. Va falloir qu’on lui explique les choses à notre façon…
Quelques heures après, ils se retrouvaient en petit comité dans les cuisines de « l’Atelier de Roël Jobuchon » en plein c½ur de la capitale. Le restaurant était fermé, les portes closes et les stores baissés. Tous les commis et les serveurs furent prestement renvoyés chez eux lorsque Duda et ses haflings débarquèrent. Ils installèrent un Roël ligoté près du grand four, puis sortirent casseroles, poêles et autres louches, en faisant un vacarme du diable et en riant aux éclats.
- Maintenant, tu vas comprendre mon con. – lui avait dit le coach, alors que les joueurs du Real Boitar mettaient la cuisine de Roël sans dessus-dessous. – Faites chauffer de l’eau les mecs, et rallumez-moi ces fourneaux !
- Qu’es…ce que vous allez m’faire ? – lui demanda le chef cuisinier sur un ton apeuré.
- Toi ? Rien… ou pas grand-chose. – lui répondit l’humain sur un ton sibyllin. – Mais tes cuisines par contre…
- Ne touchez pas à mes cuisines ! – jappa immédiatement le halfling. – C’est mon bébé, c’est ma passion, ma raison de vivre !
- Ta gueule. – rétorqua sèchement le coach. – Tu veux garder tes cuisines, alors tu feras ce qu’on te dit. Putain, on te paye un bras pour que tu nous aides et tu fais encore la fine bouche ?
- Je ne peux pas, j’peux pas, mon honneur… - pleura le cuisinier.
- Ton honneur, tu peux te le foutre au cul avec tout le pognon que tu te fais. Les gars ! – hurla-t-il en direction de ses joueurs. – Montrez lui ce que vous savez faire avec une casserole. – Puis il se retourna vers le chef cuisinier et dit sur un ton n’appelant aucun débat. – Maintenant, écoutes moi bien. Pour le prochain match, voilà ce que tu vas faire comme plats…
***
- Il nous reste encore une dernière chose à faire les mecs. – affirma mystérieusement Duda aux deux halflings qui l’accompagnaient, alors qu’ils se faufilaient avec appréhension dans les venelles lugubres des bas-fonds de la capitale.
En cette fin de soirée, les ruelles étaient pleines de pochtrons avinés qui tentaient de leur soutirer quelques piécettes, de malfrats leur jetant des regards malveillants et de filles de joie empâtées les aguichant de leurs voix criardes.
- Et maintenant, on va où coach ? – le questionna un Tholot anxieux, qui avait perdu l’habitude de se retrouver dans des endroits sinistres comme celui-ci, alors qu’ils débouchaient, au détour d’une rue, sur la porte fatiguée d’un bâtiment délabré, au-dessus de laquelle pendait une vieille pancarte élimée et sur laquelle figurait le nom de l’établissement « Lilas et Groseilles ».
- Ecoutez les mioches. – répondit le coach d’une voix comploteuse. – Il nous faut de l’aide. On s’en sortira pas sinon. Comme je vous ai dit, faut changer le plan. On a commencé avec le cuistot…
- Et on le finira ici ? – intervint Eggon circonspect. – Dans ce vieux rade tout pourri ? Ça a l’air d’être une putain d’maison de passes pour gobelins culs-de-jatte. Qu’est ce qu’on fout ici coach ?
- On vient chercher quelqu’un. – répliqua Duda dans un rictus ironique alors qu’il poussait la porte.
Tous les regards se tournèrent vers eux alors qu’ils faisaient leur entrée d’une manière la plus naturelle possible. Visiblement, l’effet était raté car les conversations se turent, le bruit ambiant cessa et quelques quintes de toux nerveuses se firent entendre. L’établissement était bondé. Le plafond bas de l’auberge, soutenu par des poutres noircies par la fumée, rendait l’atmosphère lourde et lugubre. L’air vicié empestait le tabac, la sueur et la pisse mêlés. Le sol était jonché de mégots de cigarettes, des bouts de poterie ou de verre brisés, et des flaques de bière et d’autres liquides se répandaient sur quasiment toute sa surface. Ci-et-là des groupes de poivrots se partageaient quelques bouteilles au contenu incertain, tenant fièrement, qui sur les genoux, qui enlaçant, des catins vérolées peu fraiches. Un feu brûlait dans une grande cheminée détériorée, placée dans le coin gauche de la salle, autour de laquelle était assise une demi-douzaine d’individus encapuchonnés, fixant vivement les nouveaux arrivés. Derrière le comptoir, un nain chauve et barbu, aux oreilles percées de nombreux anneaux en or et au regard torve, essuyait une chopine avec un torchon crasseux. Alors que les deux halflings jetaient des regards inquiets sur la grand-salle et sur les convives, se dandinant avec appréhension, leur coach ne s’en laissa pas impressionner. Il s’approcha du bar en se faufilant entre les tables et bancs occupés par les convives qui le regardaient passer sans brocher.
- Tu m’remets ? – lança-t-il au barman, sur un ton totalement neutre, alors qu’il posait une pièce en or sur le comptoir. Le nain s’en saisit prestement en répondant :
- Ouaip. La Lutèce.
- Et donc ?
- Il est dans l’salon privé. Comme convenu. – conclut le nain en détournant le regard.
Duda fit signe aux deux halflings de le rejoindre et ils se dirigèrent ensemble vers une porte battante située au fond de la salle. Lorsqu’ils pénétrèrent dans le petit salon, ils virent que celui-ci était occupé par un imposant halfling au visage et à la dentition abîmés, mais doté d’une étonnante chevelure blonde bien entretenue. Il se restaurait en avalant des portions de gruau aux haricots, maniant inlassablement une grande cuillère en bois et portant de temps en temps à ses lèvres une chope en étain sur laquelle étaient gravés les lettres « PB ».
- C’est pourquoi faire ? – les questionna le halfing, la bouche pleine, sans même prendre la peine de lever les yeux vers les arrivants.
- Sans déconner ! – intervint Tholot qui avait visiblement reconnu immédiatement l’individu. – C’est lui ? C’est bien lui ? – Demanda-t-il à son coach sans vouloir y croire.
- Putain ! Il a l’air d’avoir pris cher ! – rajouta Eggon avec étonnement.
- Bonsoir Pugguy. – lança laconiquement Duda en direction de l’halfing blond. Ce dernier releva la tête, interloqué, la cuillère arrêtée à mi-chemin de sa bouche. Il plissa les yeux, ayant manifestement grande difficulté à se remémorer les visages des trois individus qu’il avait en face de lui. Soudain, il sourit béatement en reposant son ustensile en bois et fit un grand geste de la main, les invitant à s’asseoir.
- Ah, mais Pugguy vous reconnait ! – répondit-il d’une voix goulue, faussement détachée. – Le Real Boitar. Pugguy se rappelle vous avoir fait grâce de sa présence pour quelques matchs dans le temps.
Duda et les deux halflings s’assirent en face de ce dernier, en le contemplant avec étonnement. Il faut dire que le temps ne fut pas tendre avec la star des terrains, ou ancienne star fallait-il dire, tant le halfling blond avait changé. Les effets des abus de tout genre avaient laissé une empreinte rude sur son visage émacié, dont la peau ravagée et rougie, laissait apparaitre des cloques purulentes et des plaques d’épiderme desséchées. Il regardait les trois amis avec des yeux maladifs, emplis de sang, aux contours violacés. Son sourire fit apparaitre des dents abîmées, jaunies, et manquantes par endroits. Seule la chevelure dorée, volumineuse et bien soignée, demeurait majestueuse. Bref, le héros de tout un peuple avait du plomb dans l’aile… et de la vinasse dans les veines…
- Bon, ils veulent quoi de Pugguy les larrons ? – leur demanda-t-il avec dédain, alors que les deux halflings détournaient les visages en fronçant leur nez, crispés par l’odeur nauséabonde qui se dégagea de la bouche de la star. La légende n’avait visiblement pas tari et Pugguy méritait toujours autant son nom.
- Permettez-moi d’abord de vous offrir cet excellent breuvage sorti tout droit de ma réserve personnelle. – répondit le coach en sortant une bouteille de vin d’une poche de sa houppelande. Pugguy s’humecta les lèvres avec sa langue en saisissant le cadeau que lui tendait Duda.
- Un Luccini Conti, et âgé en plus. Hmmm, ma foi, je ne dis jamais non à un cadeau offert de bon c½ur. – répliqua le halfling blond en enlevant le bouchon avec ses dents. Il vida le contenu de sa chope sur le sol et se servit une bonne rasade du breuvage tiléen. – Ah, un régal !
- Content que ça vous plaise. – riposta le coach, ne laissant pas le temps à la star de se servir une seconde gorgée. – On a une proposition à vous faire.
- Puah. Pugguy se moque de leur proposition ! – riposta sèchement la star. – Merci pour le cadeau, en souvenir du bon vieux temps. Mais Pugguy n’a rien à leur offrir, aux bouzeux. Allez, ouste ! Du vent !
Eggon ouvrit grand les yeux et voulut bondir de sa chaise, visiblement énervé par le ton employé par l’ancienne star halfeline. Mais il fut attrapé par Duda qui lui plaqua le bras sur la table et le regarda avec fermeté.
- Du calme, Eggon. Laisse-moi faire. – lui chuchota-t-il. Puis, il se tourna vers Pugguy en disant :
- Visiblement, vous n’avez pas besoin de nous. Vous roulez sur l’or ces derniers temps, à ce que je vois. Et puis, quelle gargote que vous avez là ! Un véritable palais impérial, dites-moi ! Les fans se pressent pour vous apercevoir et vous semblez nager dans l’opulence.
- Pugguy n’a pas à entendre ces jérémiades. Il n’a que faire des remontrances d’asticots dans votre genre. Du balai maintenant ! – riposta avec mépris le halfling blond.
- Ecoutes moi maintenant ducon ! – hurla tout à coup Duda. – T’es devenu une véritable loque. Plus personne ne s’intéresse à toi, tout le monde t’a laissé tomber. Il te reste quoi ? Que dalle. Ton dernier contrat remonte à quand, ma poule ? Et ça fait combien de temps que tu n’es plus passé sur Cabalvision ? T’es même plus invité dans les réunions des vétérans de la Ligue. T’es plus rien !
- Et alors ?! – riposta Pugguy avec véhémence. – Pugguy reste une star, une immense star, et bientôt, oui très bientôt, il reviendra sur les terrains. Alors, les minables dans votre genre verront alors toute la magnificence et la gloire de Pugguy. Son étoile brillera à nouveau sur le firmament du Blood Bowl !
- Justement. On a un plan à te proposer. On remonte la team. – le coupa dans sa diatribe le coach. Pugguy se calma alors, but une nouvelle gorgée de vin, s’essuya la bouche d’un revers de manche et répondit :
- Ok les gruaux. Combien ?
Lorsque Duda sortir de l’auberge en compagnie des deux halflings, Tholot ne cessait pas de pester en tournant la tête de gauche à droite avec effarement.
- Il a pris cher le gars. J’arrive pas à y croire que c’est lui. C’était une star, merde. Et c’est une loque là. J’y crois pas. – se lamentait-il.
- Putain, mais quel connard. – répliqua Eggon. – Je ne me rappelle pas qu’il était aussi odieux.
- L’a pas changé. – lui répondit Duda. – Il a toujours été empli d’arrogance. Visiblement ça a empiré depuis qu’il est tombé dans l’oubli.
- Justement, coach. – l’interrogea Tholot. – Vous pensez qu’il fera l’affaire ? J’veux dire, il fait peur là, j’suis pas sur qu’il arrivera à mettre un pied devant l’autre.
- T’inquiètes. – le coach sourit avec amusement. – Il sera prêt pour le match. J’parie ce que vous voulez. L’orgueil, ça transforme un homme… ou un halfling en l’occurrence. L’orgueil et cent quarante mille pièces d’or…
***
Une semaine après, le Real Boitar devait refouler la pelouse pour la deuxième journée de la Lutèce Cup contre l’équipe humaine des Chrissou Team Revival – des sacrés gaillards, puissants et agiles, menés par un coach vétéran de la ligue, le célèbre Alchemy.
Les halflings étaient à leur routine habituelle, se préparaient dans leur vestiaire avec entrain, dans la bonne humeur, la rigolade, les calambours et la franche camaraderie virile – celle qui rapproche les hommes dans les mines de charbon – lorsque des cris stridents et des hurlements aigus se firent entendre dans les couloirs du stade.
- C’est quoi ces conneries ? – Duda releva la tête alors qu’il potassait tranquillement la presse sportive matinale.
Il se leva d’un bond et voulut s’approcher de la porte, quand soudain, celle-ci s’ouvrit brutalement. Les cris perçants d’une multitude de voix féminines s’engouffrèrent alors avec violence dans le vestiaire, faisant grimacer les joueurs du Real Boitar. Puis, deux malabars à la peau d’ébène, vêtus de frusques amples et portant de nombreux bijoux multicolores de très mauvais goût, entrèrent et se placèrent de chaque côté de la porte. Enfin, Pugguy apparut sur le seuil, et les semi-hommes écartèrent les yeux de stupéfaction, alors que les deux gardes du corps repoussaient tant bien que mal le flot de supportrices déchainées qui se pressait derrière la vedette.
Auréolé d’un halo de lumière, ses cheveux soignés volant dans le courant d’air, la star n’avait plus rien à voir avec le déchet halfling qu’ils avaient vus à peine une semaine avant. Rasé de près, la peau luisante de soins cosmétiques et de crèmes apaisantes appliquées visiblement en nombre conséquent, l’½il rieur et le sourire en coin, Pugguy regarda les joueurs du Real Boitar avec morgue. Il était vêtu d’une tenue de match fringante neuve, manifestement faite sur mesure, et aux couleurs de l’équipe. Il arborait, autour du cou, un élégant châle aux motifs complexes et tenait sous son bras un casque en argent poli sur lequel figuraient ses initiales, gravées de chaque côté d’une étoile plaquée or.
- Fichtre ! – s’exclama-t-il en jetant un regard dédaigneux aux alentours. – Quelle sympathique équipe d’amateurs que voilà ! Mais quelles odeurs nauséabondes dans ce vestiaire. Pugguy ne peut rester avec la plèbe. Ils indiquent où est la loge de Pugguy, les vilains ?
- Veuillez me suivre Monsieur ! – répondit prestement Duda alors que ses joueurs lui lançaient des regards interloqués, indiscutablement abasourdis et ne sachant comment réagir face à autant d’insolence de la part de la star halfeline. Le coach mena ce dernier au fond du vestiaire et ouvrit une porte qui donnait effectivement sur un réduit agencé spécialement pour l’occasion. L’espace était occupé par un bureau en bois massif muni d’un imposant miroir autour duquel étaient accrochés des globes luminescents. Des boissons rafraichissantes attendaient, reposant sur le bureau dans un énorme sceau rempli de glace pilée. Le reste de la pièce était doté d’un confortable canapé en velours sur lequel reposaient des serviettes et un peignoir molletonné, bordés des initiales de la star. Sur le côté droit du local était aménagée une autre porte, donnant directement sur la salle d’eau.
- Pas mal. Pugguy pense que ça peut lui plaire. – fit-il en écartant le coach du bras et pénétrant dans sa loge. Il se tourna alors vers les joueurs du Real Boitar et affirma de manière orgueilleuse :
- Sur le terrain, ils laissent faire Pugguy les gruaux. Ils donnent la balle à Pugguy et il en fait son affaire. Compris ? – Puis il claqua la porte au nez et à la barbe de Duda.
- Putain, mais il se prend pour qui l’autre ? – s’étonna Mirfu avec colère en se levant de son banc. – Va pas nous donner des ordres, puis quoi encore ?
- Laisse tomber. – riposta le coach en haussant les épaules. – On a besoin de lui, alors ses petits caprices, on s’en fout pas mal, tant qu’il assure sur le terrain. Et il a intérêt à assurer l’enflure. Il a intérêt. – conclut-il la mâchoire crispée.
***
Or, justement, le hasard faisant parfois si bien les choses, Pugguy assura lors du match ! Et comment ! L’histoire retiendra qu’il était partout sur la pelouse, menant les attaques du Real Boitar en première ligne, esquivant les blocages adverses, se faufilant dans les lignes rivales, stoppant les percées des humains… Les supporters, venus en masse au stade, assistaient – stupéfiés – à un véritable concert donné par le joueur halfling, à une partition jouée de main de maître, à une renaissance d’une star oubliée. Et si le public – composé, il faut l’avouer, en grande majorité des fans des Chrissou Team Revival – sifflait la vedette au début du match, il se rendit peu à peu à l’évidence, Pugguy était de retour et il ne pouvait qu’être applaudi, tant ses actions brillaient d’éclat et de gloire retrouvés.
Le match débuta dans la violence d’âpres combats et finit sur une note que vous, cher lecteur, connaissez déjà. Néanmoins, il convient de narrer le déroulement de la rencontre, laquelle fut, jusqu’à cette ultime action, un véritable spectacle d’anthologie, un théâtre d’une dramaturgie épique, et évidemment une ode à la barbarie et à la violence naturelles accompagnant tout bon match de Blood Bowl !
Bien qu’ayant gagné le toss, l’équipe halfline décida de défendre et de laisser la Chrissou Team Revival attaquer, au grand étonnement de leur coach, lequel remercia chaleureusement, et avec une morgue certaine, pour ce second cadeau que lui offrait Duda. En effet, le premier présent leur fut servi avant le match déjà, lorsqu’un maître cuisiner hafling porta dans les vestiaires humains, avec l’autorisation des commissaires de la ligue, une marmite remplie d’un ragoût revigorant et énergisant, spécialement préparé pour les belligérants du soir. Aux dires du coach Alchemy, son équipe avait particulièrement apprécié le geste du coach halfling…
Nonobstant ces échanges de politesses, le match débuta de la manière la plus violente qui soit. Dès l’engagement, deux joueurs du Real Boitar furent sonnés et un troisième envoyé sur le banc pour se remettre les idées en place. La Chrissou Team Revival se lança à l’attaque en infiltrant ses deux receveurs profondément dans les lignes halfelines et en pressant les autres joueurs. Mais c’est alors que Pugguy, accompagné des deux hommes-arbres, entra en action ! Alors que la vedette de l’équipe jetait au sol un receveur humain, lequel se fit piétiner vicieusement par quelques pieds velus sans que l’arbitre n’intervienne d’une quelque manière, Grisfrêne le Vif tenta de s’en prendre à l’ogre de l’équipe adverse qui protégeait le porteur du ballon. Le vieil homme-arbre s’élança avec lourdeur vers le monstre rival et lui décrocha un splendide coup de branche en plein dans la mâchoire ! L’ogre s’effondra au sol sans bouger et fut immédiatement évacué par le service infirmier du stade. Le match venait à peine de commencer et le big guy de la Chrissou Team Revival était sorti pour tout le reste de la rencontre ! Celle-ci ne pouvait mieux débuter pour le Real Boitar !
Constatant les dégâts, voyant ses défenses ébréchées, ses joueurs jetés au sol et piétinés avec allégresse par les adversaires, le coach Alchemy – pestant de rage – dut adapter sa tactique. Plutôt que de contrôler le score, il envoya son receveur porteur du ballon marquer rapidement un premier touchdown, avant que ses joueurs ne soient débordés par la violence des hommes-arbres et la fougue d’un Pugguy déchainé. Ce faisant toutefois, il laissait la balle à l’équipe rivale pour tout le reste de la première mi-temps !
Le Real Boitar entama alors son entreprise de démolition. Menés par la star et protégés par les deux big guys – il faut le souligner, très efficaces physiquement dans la violence au niveau de la brutalité, une fois n’est pas coutume – les halfings firent progresser la balle tranquillement, sereinement, et sans se presser, en plein dans le c½ur de la défense humaine. Dépassés, les joueurs de la Chrissou Team Revival peinaient à stopper l’avancée du Real Boitar, à tel point qu’à quelques minutes de la mi-temps, Tholot l’Ancien se retrouva à tout près de la ligne d’en-but adverse, protégé – tant bien que mal – par plusieurs de ses coéquipiers.
Mais c’est alors que Léonard Fournette – le blitzer star humain – entra en action. Dans un mouvement d’une fluidité parfaite, il se faufila sur le côté de la cage halfline, et au prix d’un effort intense, vint percuter de plein fouet le porteur du ballon et le sonna sur place ! Le cuir chut à quelques pouces de ses pieds et un autre joueur de son équipe tenta alors de s’en saisir. Le receveur Marquise Lee s’élança en effet, esquiva les croche-pieds des halfings et tenta de ramasser la balle, mais, au dernier moment Calben Drupoil tendit son bras et le projeta dans le visage de l’humain, stoppant net la course de ce dernier et le sonnant ! Le public hurla de délire. L’arbitre s’apprêtait à porter le sifflet à ses lèvres, alors que la gonfle était dans la zone d’en-but de la Chrissou Team Revival ! Il se restait plus qu’une chose à faire. Le coach Duda hurla à ses joueurs de tenter le tout pour le tout et son message fut très bien saisi par les halflings. Lorel Bonvin se défit ainsi du marquage adverse, et, dans une glissade parfaitement réalisée, se jeta dans les pieds du blitzer humain, chipant par la même occasion le ballon, sous les yeux décontenancés de tout un stade. En défiant tous pronostics, le Real Boitar venait d’égaliser à la toute dernière seconde de la première mi-temps !
Les deux équipes rentraient au vestiaire sur une égalité parfaite au score, mais le Real Boitar allait attaquer en seconde mi-temps et disposait – déjà – d’un léger avantage numérique.
La deuxième partie du match devait commencer alors que les joueurs de la Chrissou Team Revival entraient sur la pelouse les visages crispés, livides, se tordant de douleur, et se tenant les abdomens. Les caméras de la cabalvision saisirent alors un geste entendu de la part du coach Duda en direction de Roël Jobuchon – le maître cuisiner hafling – lequel souriait nerveusement en jetant des regards apeurés aux alentours, un fin filet de sueur lui coulant sur la tempe. Néanmoins, aucun des officiels présents dans le stade n’eut à redire tant sur son attitude que sur celle – quelque peu inquiétante malgré tout – de l’équipe humaine.
Les hostilités pouvaient reprendre et elles le firent, et de quelle manière ! La seconde mi-temps commença comme la première, dans la violence et le sang ! Alors que les hommes-arbres entamaient leur travail de nettoyage, envoyant deux trois-quarts adverses sur le banc, Pugguy s’aperçut que le lanceur humain était esseulé en plein milieu de la défense rivale. Accompagné d’un joueur en soutien, la star se jeta sur le quaterback avec ardeur mêlée de férocité (à moins que ce ne soit l’inverse). Il envoya un formidable coup de poing en plein dans le visage de ce dernier et le stade retint son souffle. Le casque de l’humain tomba, et le joueur chut sur la pelouse, comme au ralenti, alors que des bouts d’os, de cartilages et de cerveau giclaient dans une atroce gerbe écarlate qui éclaboussa les alentours. La foule beugla de plaisir malsain, telle une bête immonde et hurla sa joie et son bonheur vicieux, alors qu’une tragédie se déroulait sur la pelouse. Le lanceur se convulsa quelques secondes au sol, le visage transformé en une bouille abjecte, le sang pulsant brutalement de son crâne par plusieurs orifices mettant à nu sa boîte crânienne. La mort venait de jeter son filet macabre sur la pelouse et réclamait son épouvantable dû ! Tel était le destin dans ce sport passionnant, mais ô combien funeste ! La mort fauchait les âmes et le public chantait sa gloire !
Déchainé, Pugguy sourit à la foule et leva son poing ensanglanté ! Le stade entra en éruption, les supporters hurlant leur joie ou leur rage à s’en rompre les poumons. Pendant ce temps-là, l’attaque du Real Boitar progressait de nouveau, alors que la défense humaine se faisait de plus en plus clairsemée.
Au milieu de cette débandade des humains, un seul joueur brillait tel le phare dans la nuit. TJ Yeldon, le blitzer vedette de la team, faisait pleuvoir sur les halfings un véritable déluge de coups, envoyant plusieurs d’entre eux dans la fosse de blessés. La situation devint très tendue pour le Real Boitar au moment où le blitzer se jeta avec une férocité téméraire sur le capitaine halfling, le blessant gravement ! Un bruit d’os brisés se fit entendre dans le stade et la foule gémit de douleur et de dégoût. Le coach Duda grimaça avec répugnance et fit immédiatement appel à Grégoire Ousse – le médecin du club – qui réussit, l’on ne sait par quel miracle, à remettre le vieux Tholot debout. Le capitaine du Real Boitar sortit toutefois de la pelouse en boitant très bas, et son équipe se retrouvait désormais à égalité numérique avec la Chrissou Team Revival. A cela s’ajoutait le fait que les deux hommes-arbres, manifestement fatigués ou en manque de sels minéraux, décidèrent de concert de se figer sur la pelouse et s’enracinèrent !
Face à cette situation de plus en plus dangereuse, et souhaitant éviter tout contre adverse, le coach Duda modifia la tactique employée et ordonna à ses joueurs de marquer rapidement. Une cage halfline plus ou moins correcte avança rapidement vers l’en-but adverse et, malgré la pression d’un TJ Yeldon toujours autant efficace, le Real Boitar réussit à marquer un second touchdown par l’intermédiaire de l’inévitable Lorel Bonvin !
L’incroyable se produisait, les halflings menaient au score, alors qu’une pluie battante se mit à tomber sur le stade et que le tonnerre gronda comme pour sonner le glas des espoirs de l’équipe humaine !
Le coach Alchemy fulminait, il ne reconnaissait plus ses joueurs. Mis à part le blitzer vedette, les quelques humains qui restaient sur la pelouse se mouvaient avec difficulté, les visages serrés et tordus de douleur, certains vomissant une bile nauséabonde. Était-ce le ragoût qui avait du mal à passer, personne ne put le dire, mais la Chrissou Team Revival n’était visiblement pas en pleine forme !
Le pire était encore à venir – du moins Alchemy le pensa-t-il – lorsque Dede Westbrook – le receveur humain, se rata lamentablement dans sa tentative de ramassage du ballon, lequel fut botté avec douceur par Tholot l’Ancien tout près de la ligne médiane. Il n’en fallait pas moins au Real Boitar pour amorcer une contre-attaque. La première ligne humaine fut repoussée avec agressivité par les deux hommes-arbres, qui faisaient de nouveau le ménage autour d’eux, et Pugguy se jeta tel un forcené sur le malheureux receveur rival, le sonnant net. Le reste de l’équipe halfeline se rapprocha le mieux qu’elle put, afin de créer une zone de pression autour des rares joueurs humains encore debout.
C’est alors que le coach Alchemy fit la démonstration de son talent, démontrant – si cela était encore nécessaire – que sa réputation était loin d’être usurpée. Constatant les dégâts, mais jugeant parfaitement la situation, il ordonna à son second receveur – Marquise Lee – de tenter une action d’éclat. Au prix de plusieurs esquives, toutes réussies, le receveur se retrouva en face du Pugguy et ramassa le ballon – pourtant rendu très glissant par la pluie – juste sous les pieds de la star halfeline. Le stade hurla de nouveau de bonheur ! Le match était loin d’être plié. Et ce d’autant plus que Marquise Lee profita de l’hébétude de ses adversaires, estomaqués par cette action de grande classe, pour s’éloigner le plus possible en portant la gonfle. Le Real Boitar se jeta naturellement à ses trousses et faillit le cueillir mais, malheureusement, c’est alors que l’impensable se produisit. La vedette du Real Boitar tenta de rattraper le fuyard et était sur le point de se jeter sur lui, lorsqu’il glissa et s’étala la face la première dans la gadoue, sous les railleries et les quolibets d’une foule hilare.
Evidemment, l’occasion faisant le larron, le receveur humain fit parler sa vitesse et s’engouffra très profondément dans la défense halfeline, totalement dépassée. C’était maintenant au coach Duda de pester. Son joueur vedette, la star de l’équipe, engagée au prix d’or, le trahissait au pire moment, et laissait l’équipe désemparée au moment crucial du match. Le sort semblait cruel avec le Real Boitar, tant d’efforts réduits à néant par une seule action ratée – totalement ratée – de la part de Pugguy. La Chrissou Team Revival allait certainement égaliser, alors le coach halfeling dut improviser. Il lui apparut nécessaire de forcer les adversaires de marquer rapidement, sans contrôler la partie, afin que le Real Boitar puisse avoir une dernière occasion, une ultime chance, de gagner la partie. Il ordonna alors à tous ses joueurs de se lancer sur la némésis de la soirée, le fameux blitzer TJ Yeldon, qui fit tant de mal aux halflings en seconde mi-temps. L’attaque réussit et le blitzer fut jeté au sol et piétiné sans ménagement et avec une furie certaine, par de nombreux pieds velus. Craignant pour son joueur, sévèrement amoché, le coach humain ordonna au porteur de la balle de marquer rapidement, afin de faire cesser les velléités halfelines.
Les humains égalisèrent donc alors que la situation semblait désespérée pour eux. Le coach Alchemy riait de tout son soul alors que Duda demeurait impassible sur le bord de la pelouse, les bras croisés et le regard sévère. Il restait une chance, une ultime chance, pour peu que mère nature soit bienveillante, pour peu que les dieux du Blood Bowl regardent son équipe avec affabilité… fallait juste ne pas se foirer, juste ne pas se foirer…
Il ne restait plus que quelques secondes avant le coup de sifflet final. Le ballon fut botté par l’équipe humaine et atterrit dans une flaque d’eau, loin dans le camp du Real Boitar. Eggon Vieuxmoulin s’en saisit alors avec dextérité et avança rapidement vers son coéquipier, idéalement placé près d’un homme-arbre…
***
Les énormes portes de la salle de conférence furent ouvertes par les stadiers aux visages neutres, impeccablement vertus dans leurs tenues d’apparat. Tholot, Eggon et leur coach s’avancèrent vers la lumière et furent immédiatement assaillis par la meute de journalistes, vociférant et hurlant les uns par-dessus les autres. Toutes les caméras de cabalvision furent instantanément braquées sur eux et les flashs des boites à images magiques crépitèrent en les éblouissant. Le Real Boitar venait de gagner son premier match de la Lutèce Cup et soudain, toute la presse et tous les spécialistes se rappelèrent à leurs bons souvenirs. Les questions fusaient frénétiquement : « Que ressentez-vous ? », « Comment avez-vous préparé ce match ? », « Est-ce le retour du Real Boitar ? », « Comment allez-vous fêter cette victoire ? », « C’est quoi cette bouteille de lait ? » – les deux vétérans et leur coach furent assaillis par les journalistes furieux, alors qu’ils plaçaient leurs bras devant leurs visages pour se protéger de la lumière des flashs.
- Place ! – glapit soudain une voix perchée dans le dos des trois compères. Ils se retournèrent de concert pour voir arriver droit sur eux un Pugguy agacé, rougi de contrariété et se tamponnant le front avec son châle aux motifs alambiqués.
- C’est Pugguy la star du match ! – reprit le halfling blond en forçant le passage entre un Tholot et un Eggon médusés. – Pas ces ploucs incapables. Ils se poussent les péquenauds et ils laissent parler le spécialiste ! – conclut-il en se plantant droit devant les caméras de cabalvision et en souriant de plus belle. Immédiatement, l’attention des journalistes fut tournée vers lui.
- Non mais, quel connard, j’te jure ! – souffla Eggon à ses deux amis, ébahi par tant d’arrogance. – J’vais m’le faire.
- Calme mon vieux. – le réprimanda Duda de manière amicale. – Laissez le parler. Qu’il ait son moment de gloire.
- Et nous ? – rétorqua Tholot sur un ton de reproche. – Il n’a quand même pas tout fait tout seul ce blaireau, non ?
- Nous ? On va fêter ça tranquillement, entre nous, sans ce pitre blondinet. – répondit Duda en souriant. – J’vous emmène tous au Lotus Noir ce soir. C’est gonzesses à volonté cette nuit. Et c’est moi qui offre ! – conclut-il alors que les visages des deux halflings s’illuminaient de bonheur…
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