Et soudain, le Minotaure esquiva…
Il existe parfois des moments étonnants, des situations incroyables, des circonstances extraordinaires qui vous font vous questionner sur le sens de la vie, sur la marche de l’univers, sur le pourquoi du comment de tout ça… Qui vous font dépassionner tous les petits drames du quotidien et qui vous font dire que tout ça ne vaut vraiment pas la peine d’être vécu avec trop d’ardeur et d’émotions…
C’est précisément ce qui arriva à l’équipe du Real Boitar lors de la troisième journée de la mémorable et célèbre Lutèce Cup, alors qu’elle rencontrait les fougueux joueurs de la Pact of Death Squad menés par l’inévitable et le non moins fougueux Dritzz, grand et sulfureux vétéran des pelouses du Vieux Monde.
***
La journée du match avait pourtant parfaitement commencé pour les halflings et leur entraineur. Frais et reposés, ils goutaient au calme relativement paisible qui précède toute rencontre de Blood Bowl, en se reposant douillettement dans le grand salon privé de leur auberge préférée. Ils jouissaient de tout le confort dont profitaient les équipes inscrites à la compétition : boissons revigorantes, mets succulents et massages et soins en tous genres prodigués par les mains habiles et gracieuses de quelques expertes agréées par la Ligue… bref, rien ne pouvait entamer le caractère plaisant de l’atmosphère ni l’état d’esprit vaillant et confiant des joueurs du Real Boitar.
Non, vraiment rien. En réalité, tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Tous les gars étaient prêts pour cette nouvelle rencontre, les blessés s’étant remis sur pied, et tout le monde voulait en découdre sur la pelouse. Les caisses de l’équipe étaient pleines, le coach respirait le bonheur – ce qui était chose rare, très rare même. La tactique était désormais bien comprise par les joueurs et les sollicitations diverses et variées de la presse et des fans rajoutaient à l’excellente ambiance. Même l’équipe adverse – de solides gaillards pourtant, menés une nouvelle fois par un coach d’expérience, et accompagnés de pas moins de trois énormes bêtes, de véritables monstres ambulants – ne faisait pas trop craindre les halflings, qui pouvaient pour une fois compter sur leur agilité face à la force brute – seul argument qui pouvait apparemment leur être imposé par leurs adversaires d’un soir.
- C’est prêt ! – hurla une voix haut perchée en provenance des cuisines, alors que les halflings et leur entraineur discutaient du schéma tactique à mettre en place le soir, en sirotant un cognac sirupeux et fumant, pour certains, de l’herbe à pipe récemment arrivée tout droit du Mootland, en récompense de leur première victoire lors de la journée précédente.
- Qu’est ce qui est prêt, bordel ? – répondit le coach Duda en tournant la tête, visiblement courroucé qu’on vienne lui couper la parole alors qu’il tentait vainement d’expliquer un détail technique essentiel, de son point de vue. – Mirfu, vas voir ce qu’il nous veut l’autre con aux cuisines, tu veux bien ?
Mirfu sembla se refrogner, mais se leva néanmoins et s’apprêtait à se diriger vers la porte quand la voix hurla de nouveau :
- C’est prêt ! Fini ! Vous pouvez venir voir !
- Non mais tu te fous de nous ! – beugla le coach, en retour. – Pour qui tu te prends ! Ramène ton gros cul poilu et expliques toi, avant que j’me lève !
Les halflings entendirent alors des soupirs et des borborygmes incompréhensibles en provenance des cuisines, puis la masse corpulente de leur chef cuistot émergea avec difficulté par la porte battante. Roël Jobuchon s’essuyait les mains dans un torchon usé et affichait une moue boudeuse lorsqu’il s’avança au milieu du salon et déclara d’une voix monocorde et distante :
- J’ai fait comme il plaisait à ces Messieurs, parfaitement suivi les consignes. J’y ai mis toute ma science et usé de mes secrets culinaires. Et même si ça me fond le c½ur de dire ça…
- Abrège mon vieux. – le coupa le coach Duda.
- Bref, j’ai fait d’la merde.
- Et bé voilà ! – s’exclama alors l’humain taciturne. – Tu vois, quand tu veux.
- C’est au-delà de mes forces, vraiment… - sembla se plaindre Roël.
- Oh le pauvre petit chou. C’est dur pour son c½ur de cuisinier. C’est contraire à ses principes. C’est immoral, pervers, blasphématoire pour sa caste de toqués… Mais c’est pour ça qu’on te paye mon gros ! Et plus que bien ! Bref, allons voir ce que notre cher Chef nous a préparé. – lança le coach aux joueurs, avec entrain.
Arrivés dans les cuisines, ils purent constater que cuisaient sur le feu deux énormes marmites, dont les couvercles sautillaient doucement sous l’effet de la vapeur. L’odeur était pour le moins étrange. Si des senteurs agréables et des arômes de viande et de légumes se dégageaient, elles étaient en grande partie obstruées par des effluves fétides de fiente et de gras faisandé mélangés. Les joueurs et le coach froncèrent leurs nez de dégoût, certains eurent des brusques hauts de c½ur.
- Putain, ça daub’. – s’exclama puissamment Calben, avec son accent guttural si caractéristique. – C’est quoi c’te merd’ b’rdel ?!
- Ah non ! Vous n’allez pas me la faire ! J’ai fait comme vous l’aviez demandé, et ce en violant tous mes principes moraux et déontologiques de chef cuisinier. – s’opposa un Roël outré.
- Calme-toi. – reprit calmement le coach. – C’est bien ce qu’on voulait. Explique-toi.
- Y’a rien à expliquer. – le cuisinier tourna son regard offusqué vers Duda. – Un ragout d’agneau de lait à la sauce au miel, cuit avec des jeunes pousses de carottes, de la courgette tiléenne et petits oignons.
- Et dans l’autre marmite ? – l’interrogea Tholot intrigué.
- La même chose. – répondit Roël sans entrain. – Mais avec pas moins d’une livre de saindoux tout pourri que vous m’avez ramené, mélangée avec un peu de fange des égouts. Je vous préviens de suite. C’est la première et la dernière fois que vous me faites descendre dans cet endroit infect et puant, infesté de rats et de je ne sais quoi d’autre…
- On verra, on verra. – le coupa le coach en s’approchant des deux marmites. – Au fait, Roël, dis-moi mon brave petit, comment qu’on va faire pour reconnaitre celle à donner aux connards d’en face ? C’est les mêmes marmites. Parfaitement identiques…
- Mais… - le cuisinier jeta à Duda un regard ébahi. – A l’odeur bien sûr, à l’odeur !
- Bien sûr... à l’odeur… – répondit le coach quelque peu dubitatif.
***
- Coach, j’sens que j’vais pas y arriver. J’me sens pas bien en fait. – grimaça au bord de la pelouse un Tholot blafard alors que s’achevait la première mi-temps du match entre le Real Boitar et la Pact of Death Squad.
La rencontre, menée tambour battant par les deux équipes, remplissait toutes ses promesses. Ce soir, les protagonistes avaient visiblement mis du c½ur à l’ouvrage et firent plaisir à leurs nombreux supporters. L’ambiance était excellente, les chants, les hurlements, les invectives et les filets de bière fusaient de tous les côtés des gradins, au moins autant que les cris de rage, les râles et le sang au niveau de la pelouse.
Duda et son équipe étaient venus manifestement confiants, et la première mi-temps leur donnait quelque peu raison, même si tout ne se passait pas exactement comme ils l’avaient souhaité. Le Real Boitar était venu accompagné – comme c’était de coutume désormais – du célèbre chef cuisinier Roël Jobuchon, spécialiste agréé par la ligue et préparateur de fameux repas revigorants pour les athlètes des deux équipes.
Mais Duda avait souhaité faire les choses en grand ce soir, et il avait pioché dans la trésorerie du club pour acquérir auprès des superviseurs de la Ligue et de l’arbitre du soir, une corruption officielle qu’il pensait pouvoir utiliser. Cette précaution, annonciatrice de violence gratuite, fut signifiée en grande pompe par la Ligue et reprise dans de nombreux journaux sportifs. Elle ne manqua pas d’attirer au stade une foule de curieux, venus assouvir leurs plus vils instincts, étancher leur soif perverse de sang et rassasier leurs vices les plus bas de voyeurs immoraux.
L’affiche promettait des tripes et de la bidoche en l’air, ainsi que des giclées de sang, et visiblement, promesse était tenue !
En effet, alors que la Pact of Death Squad entamait le match dans la plus pure tradition des équipes de récoltants chaotiques – en distribuant les châtaignes, marrons et autres poires de tous côtés – les joueurs du Real Boitar tentaient, avant tout, d’échapper aux poings adverses et cherchaient surtout à mettre au moins un adversaire au sol – et ce sans s’occuper du ballon !
C’est la raison pour laquelle la cage chaotique progressait, lentement mais surement, vers l’en-but halfling, le ballon situé bien à l’abri dans les mains de Mortis Mortimer – l’elfe noir renégat de la Pact of Death Squad. L’avancée était impressionnante, le porteur du cuir étant cerné sur chaque flanc par les imposantes masses du troll et de l’ogre de l’équipe chaotique. A l’avant, Guerre le Minotaure chargeait à tout-va, les cornes en avant, dans les rangs halflings qui se clairsemaient de plus en plus.
L’avancée ne fut stoppée qu’une fois, lorsque Waldi Belleplume, en dépit de tout bon sens et faisant preuve d’un courage pathologiquement téméraire, contourna le flanc gauche de la cage chaotique – échappant aux mains griffues du troll – et vint percuter violemment par l’arrière l’elfe noir renégat. Sous la violence du choc, totalement impromptu, les deux joueurs finirent sonnés sur la pelouse, et la balle rebondit aux pieds du troll du chaos, lequel regarda benoitement ce bout de cuir choir devant lui, ne sachant manifestement pas ce qu’il devait en faire.
Ce petit interlude dans l’avancée chaotique fut mis à profit par les halflings qui, voyant leurs adversaires quelque peu désarçonnés par cette action d’éclat de Waldi, réussirent à jeter bas un de leurs rivaux. Lorel Bonvin entra alors en action et tout à coup, un bruit horrible de cartilages et d’os broyés se fit entendre alors que la rotule et le ménisque du maraudeur cédaient sous les crampons de l’halfling vicieux. La foule poussa un hurlement de bonheur pervers, alors que le pauvre blessé finissait évacué par le service infirmier du stade. Naturellement, l’arbitre de la rencontre vit l’énorme attentat perpétré par Lorel et tenta de l’expulser de la pelouse. Mais d’un geste, le coach Duda fit comprendre aux représentants de la Ligue que ceux-ci devaient obliger l’homme en noir de revenir sur sa décision – ce qu’il fit au grand dam du coach Dritzz, qui fulminait de l’autre côté de la pelouse et pestait contre un arbitrage totalement partial de la part du corps arbitral.
Il n’en demeure pas moins que ce court laps de temps ne fut que d’un répit relativement bref pour le Real Boitar, dans la mesure où la Pact of Death Squad récupéra assez aisément la balle, laquelle finit de nouveau dans les bras de Mortis Mortimer, dès que ce dernier se remit se ses émotions. La progression de l’équipe chaotique reprit, sans pouvoir être stoppé par le Real Boitar, de plus en plus de halflings finissant sonnés ou perdant connaissance sous les coups de butoir d’un Minotaure véritablement enragé ce soir.
L’inévitable se produisit en fin de première période, l’elfe noir renégat pénétrant tout doucement, de manière très provocante même, dans l’en-but adverse. Ce manque de tact et de fair play de la part du joueur star de la Pact of Death Squad fit enrager les supporters du Real Boitar, lesquels, hurlants de colère et l’écume aux lèvres, tentèrent de pénétrer sur la pelouse pour en découdre avec les maraudeurs du coach Dritzz. Même s’ils furent repoussés par le service de sécurité du stade, la rencontre fut interrompue pendant plusieurs longues minutes. Duda profita de l’occasion et lança en direction de ses joueurs :
- J’crois qu’il est temps de ramener les marmites de Roël. Et pas d’entourloupes, vous gourrez pas de récipient !
Ainsi, alors que les stadiers repoussaient les supporters courroucés et que l’arbitre patientait que la foule se clame un tant soit peu, les deux équipes se restauraient sur le bord de la pelouse, en se goinfrant du fameux ragoût préparé par le cuisinier vedette Roël Jobuchon. Celui-ci souriait mielleusement en direction du coach Duda, lequel demeurait impassible et concentré. Il restait en effet quelques minutes pour que le Real Boitar tente d’égaliser avant la mi-temps, et la chose était rendue plus aisée par l’émeute provoquée par les supporters enragés, l’arbitre ayant décidé de remonter l’horloge, afin de compenser le temps ainsi perdu.
- Tholot, tu rentres, tu choppes la balle et après, tu sais ce qu’il te reste à faire. Cendrechêne ou Grisfrêne sont prêts à t’envoyer en l’air. – énonça posément le coach.
C’est précisément à ce moment-là que Tholot prononça la fâcheuse phrase : – Coach, j’crois que j’vais pas y arriver. J’me sens pas bien en fait…. – Duda tourna lentement son visage vers le banc où ses joueurs finissaient le ragoût. Il plussa les yeux avec suspicion.
- Qu’est ce que tu me racontes là mon gars ? – le questionna-il, méfiant.
- J’commence à avoir mal au bide. – riposta Tholot.
- Moi aussi en fait. – intervint un Eggon blafard.
- Moi aussi… - précisa un autre halfling sur le même ton.
- Et moi.
- Et moi.
- Coach, j’sans que j’vais…
- Oh merde ! – hurla ce dernier en se jetant instinctivement vers la marmite. Il souleva le couvercle, huma les restes répandus au fond du récipient, eut un haut-de-c½ur et pesta de toutes ses forces :
- Putain ! Vous vous êtes gourrés de marmites bande de cons !
***
Ce qui devait arriver arriva. L’improbable se produisit effectivement, les halflings ayant de toute évidence consommé la préparation devant être proposée aux joueurs adverses. Ils restaient au sol, les ventres à l’air, ballonnés et livides.
- Mais merde les gars ! – hurlait un Duda consterné. – Vous l’faites exprès ou quoi ? Vous ne sentiez pas que vous bouffiez un truc dégueulasse ?!
- Moi, j’ai rien senti en vrai. – répondit Eggon en bredouillant.
- C’était même plutôt bon, en réalité. – riposta Lorel. – L’cuistot a du y fout’ un truc pour cacher l’odeur…
- Je t’en foutrais de l’odeur ! – pestait leur coach. – J’vais me le faire ce blaireau de Roël, il avait qu’à mettre deux marmites différentes ce bouffon !
- J’crois que c’est interdit. – intervint calmement Tholot, malgré les hauts de c½ur qui lui soulevaient l’estomac. – Les règles de la ligue stipulent que par respect pour l’égalité entre les deux équipes…
- J’en ai rien à foutre des règles ! – hurla de rage leur coach. – Vous avez bouffé d’la merde les gars ! Vous allez tout me dégobiller et plus vite que ça !
- On n’y arrivera pas. – riposta un Tholot désolé. – J’crois qu’il faut qu’on retourne sur la pelouse…
Dans les faits, l’arbitre venait de sonner la reprise du match, et c’est une équipe halfline chancelante qui revint sur le terrain, en trainant les pieds, les mains tremblantes, alors que de l’autre côté de la pelouse, le coach Dritzz souriait à pleines dents.
- Ils vont bien tes p’tits joueurs ! – il invectiva son adversaire du soir. – Ca va ? Le repas est bien passé ?
- Vas-y, marres toi enflure. – lui répondit Duda la mâchoire serrée, mais il n’en menait pas large au vu de l’état de ses joueurs.
Ses craintes s’avérèrent toutefois vraies, dans la mesure où le schéma tactique mis en place pour la fin de la première période rata en tous points. En effet, bien que Tholot réussit, tant bien que mal, à remonter la balle vers les deux hommes-arbres au milieu du terrain, soit il s’avéra trop lourd, soit ses flatulences importunèrent Grisfrêne d’une manière telle que l’envol du halfling rata lamentablement. Tholot atterrit trop près et bien qu’il put se maintenir debout, il ne réussit pas à atteindre la ligne d’en-but adverse avant que l’arbitre ne siffle la fin du temps réglementaire. La mi-temps finit par un score à l’avantage de la Pact of Death Squad.
La seconde partie du match reprit comme finit la première, à savoir par une émeute venue droit des gradins – les supporters du Real Boitar ne pouvant manifestement pas accepter le fait que l’arbitre ait arrêté la partie alors que leur joueur filait vers le en-but de l’équipe chaotique. En représailles toutefois, l’homme en noir n’arrêta pas le chronomètre du stade, de telle manière que les deux équipes perdirent un temps de jeu précieux avant de pouvoir entamer les hostilités. Naturellement, cet état de fait n’était pas du goût du coach Duda, qui pestait dans sa zone technique. La situation s’envenimait d’autant plus que Tholot – tremblotant de plus en plus sous l’effet du ragout qu’il venait de consommer – ne réussit pas à se saisir du ballon plusieurs fois de suite.
Voyant l’état dans lequel se trouvaient les halflings, et analysant parfaitement la situation, Dritzz envoya plusieurs de ses joueurs profondément dans la moitié de terrain du Real Boitar, afin de presser intensément un Tholot maladroit. Heureusement pour les halflings, un joueur se démarquait sur la pelouse. Cendrechêne Boisnoir faisait en effet parler ses branches noueuses et démontrait une puissance de frappe incroyable, et blessant en quelques minutes pas moins de trois joueurs adverses – et non des moindres dans la mesure où il envoya valdinguer tant l’ogre que le troll du chaos de la Pact of Death Squad. Les rangs chaotiques se clairsemaient à une vitesse étonnante, car, encouragés par les exploits de leur homme-arbre, les halflings se jetèrent avec frénésie sur leurs adversaires et firent perdre connaissance à plusieurs d’entre eux.
En quelques minutes, la fosse des blessés de la Pact of Death Squad se remplit dangereusement et Dritzz dut constater avec effarement que ne demeuraient sur la pelouse que trois de ses joueurs.
Le scénario du match était invraisemblable, alors que les halflings ne mouvaient sur la pelouse avec difficultés, ils pressaient et agressaient leurs adversaires à tout bout de champ. Malheureusement pour eux, la progression de la balle demeurait très lente, Tholot faisant preuve, une nouvelle fois, d’une habilité et d’une dextérité toute relatives. Il réussit toutefois à atteindre le milieu du terrain, la balle dans les mains et tenta de se mettre à couvert, protégé des deux côtés par les imposants hommes-arbres.
C’est alors que l’incroyable se produisit.
Soudain, le Minotaure esquiva…
Le coach Duda en resta coi, les spectateurs demeurèrent ébahis, le commentateur de la Cabalvision perdit sa voix, le vent cessa, la nature se figea, et au loin, une femme hurla. Guerre le Minotaure, pourtant aux prises avec deux adversaires aux pieds velus, fit volte-face dans une pirouette digne des plus grands danseurs de guerre sylvestres, il échappa aux mains dodues de Calben voulant lui agripper les cornes, il sauta par-dessus le croche pied que tenta de lui asséner Marcelin, et esquiva…
Il faillit choir pourtant, il perdit l’équilibre, plongea la tête la première vers la pelouse, mais – au grand dam du coach Duda – il se rattrapa au tout dernier moment, les sabots solidement plantés dans le sol, et se rua avec férocité vers un Tholot estomaqué. Guerre le Minotaure percuta avec violence le halfling porteur du ballon dans un même geste fluide et se retrouva au milieu d’une armée de semi-hommes médusés par cette action de folie !
Duda pestait sur le bord de la pelouse. Il ne restait plus que trois adversaires. Trois, pas un de plus, alors que son équipe était au grand complet, et ils n’arrivaient pas à progresser malgré cette nette supériorité numérique. Pire ! Voilà que le Minotaure adverse, ce couillon, se prenait pour un satané elfe et venait annihiler une action pourtant facile pour le Real Boitar.
Et l’horloge continuait à tourner…
Les halflings devaient se dépêcher donc de remonter la balle, mais il leur fut, une nouvelle fois, difficile de se saisir du cuir. La situation aurait pu être désastreuse, dans la mesure où Mortis Mortimer – l’elfe noir renégat de la Pact of Death Squad, tenta de profiter de la situation confuse pour se saisir du ballon posé au sol près des sabots de Guerre le Minotaure. Par chance, il rata son coup et les haflings réussirent à le repousser et à ramasser la gonfle. Mais le temps leur était désormais compté et seul un vol plané d’un semi-homme pouvait leur permettre d’égaliser.
La balle fut transmise à Tholot qui, étonnement, réussit à s’en saisir. Mais, une nouvelle fois, son envol rata. Trop lourd, trop ballonné et pas assez agile, le capitaine du Real Boitar fut projeté avec pas assez d’énérgie par Grisfrêne et plana sur une distance trop courte. Il finit par atterrir d’une manière peu grâcieuse et s’étala au sol le visage dans la boue, faisant tomber le ballon. Consterné, le coach Duda se couvrit le visage avec ses mains. Il se demandait comment cela avait pu arriver, qui devait-il tenir pour responsable de cette débâcle, sur qui vider ses nerfs. Le cuistot ? – il avait pourtant fait son travail, pour une fois. Ses joueurs ? – ils avaient pourtant suivi ses consignes à la lettre. Les adversaires ? – pour une fois ils n’étaient pou rien. Lui-même ? – pourtant il ne pouvait pas tout vérifier tout seul.
Peut-être tout le monde à la fois. Probablement. Quoi qu’il en soit, à trois contre onze, la Pact of Death Squad réussit à tenir le score et repoussa l’attaque halfeline, grâce à l’action splendide de Guerre le Minotaure. C’était improbable, incroyable, inimaginable. Mais cela se produisit réellement. S’agissait-il, déjà, de l’action de l’année à la Lutèce Cup ? Voir un Minotaure esquiver, s’échapper à la surveillance de deux adversaires, fussent-ils halfings, pour venir percuter le porteur du ballon pourtant protégé par ses coéquipiers, était irréel, abracadabrantesque, inouï, et pourtant…
Il ne restait plus qu’à constater les dégâts. Alors que les halflings tombaient à genoux, éreintés et pris de spasmes, vomissant bile et boyaux sur la pelouse, Dritzz et ses trois héros d’un soir hurlaient leur bonheur et leur rage devant un public médusé et en délire.
La Pact of Death Squad venait de remporter une victoire importante, une victoire acquise dans le sang et la douleur, et qui leur permettait surtout de passer en silence le fait qu’ils ont été dominés physiquement par une équipe halfeline – ce qui, pour des joueurs chaotiques – était plus qu’insultant.
Dritzz s’approcha de son collègue de métier et adversaire du soir en tendant la main et en souriant cyniquement.
- Sans rancune Duda, hein. Beau match. Vous avez bien joué.
- Arrête tes palabres Dritzz. – lui répondit un Duda consterné, en lui serrant la main.
- T’as raison mec. S’en est fallu de peu. Au fait, merci pour ce super repas, les gars étaient ravis ! – dit-il avec effronterie et ironie.
Le coach Duda lui jeta un regard en biais et retroussa les lèvres de dépit.
- Roëëël ! – hurla-t-il en direction de son chef cuisinier. – Viens voir par-là ducon !