J'y ai mis un peu de temps, alors pour me faire pardonner, j'vous offre une explosion de références (cultes, j'espère) 😉
- « Faut vraiment que j’fasse tout moi-même, bordel ! »
Tholot l’Ancien, 55e minute du match contre les Disney Parade
Le sexe soi-disant faible
Le vent frais du matin se faufilait inlassablement dans la salle commune par la porte grande ouverte de l’auberge du Crampon Doré, faisait vaciller les flammes des bougies disposées sur les tables et agitant les manteaux et vestes des convives. Une grande agitation avait lieu dans l’établissement, alors que celui-ci accueillait de nombreux visiteurs, badauds et curieux, venus prendre un verre ou tout simplement tuer le temps en ce jour maussade d’hiver lutécien. La plupart d’entre eux était toutefois présente pour une autre et bonne raison. Un panneau disposé à l’entrée du bâtiment affichait en effet en toutes lettres l’information suivante :
« Le Real Botar recrute !
Si vous voulez devenir une star
Si la gloire et l’honneur vous appellent
Si vous avez suffisamment de courage et de cran
Si la témérité vous caractérise
Si vous pensez vous en sortir sur un terrain
Si vous savez distinguer votre gauche de votre droite
Et si vous êtes un halfling
Alors tentez votre chance !
Rejoignez les rangs du célèbre, du mythique Real Boitar
Et faites partie de la Légende »
L’annonce était complétée, en tout bas de page et en toute petite écriture, par l’assertion selon laquelle le Real Boitar, tout comme la Lutèce Cup, se dédouanaient de toute responsabilité, pour quelque raison que ce soit, pour tous dommages, coups et blessures et pour toutes violences de toute nature, que le potentiel candidat risquait de subir lors de sa participation au championnat, que ce soit à l’occasion d’un match, d’un entrainement, d’un évènement organisé ou de toute autre manière et ce pendant la durée du contrat d’engagement du joueur.
Il va sans dire qu’une information sur le recrutement organisé par une équipe de la Ligue avait mis en émoi tout le quartier, voire la plus grande partie de la ville et que de nombreux prétendants halflings se précipitèrent à toutes enjambées que leur permettaient leurs petits pieds velus, au célèbre Crampon Doré afin de tenter leur chance. Naturellement, la presse spécialisée et quelques médias se sont également déplacés ou ont envoyé plusieurs de leurs reporters et grands reporters en quête d’insolite, d’interviews à chaud et d’anecdotes croustillantes.
L’effervescence régnait au sein de l’établissement, où s’était formée une longue file d’attente de semi-hommes nerveux et impatients. Une grande table était disposée près de l’entrée, derrière laquelle étaient assis un Lorel et un Séraphin agacés, emmitouflés dans d’épaisses vestes en laine. Ils étaient occupés à recueillir les inscriptions des prétendants, en les faisant remplir un formulaire de présentation basique, sur lequel toutefois de nombreux candidats éprouvaient des difficultés certaines.
- C’est quoi que t’arrives pas à comprendre mon grand ? – s’emporta Lorel face à un halfling trapu, au visage bovin et grêlé, qui ouvrait d’incompréhension sa grande bouche baveuse. – Faut que tu mettes ton nom et prénom, y’a quoi de compliqué ?
- Cé’k’ M’sieu, si on’a plusieu’ blas’, on met l’quel ? – l’interrogea ce dernier, les yeux ronds, manifestement perdu et quelque peu intimité de se retrouver en face des vedettes halfling.
- Tu mets celui qu’tu veux, bonhomme. Qu’est ce qu’on en a à faire de comment tu veux qu’on t’nomme ! – se crispa Lorel. – Tu peux mettre Ducon si ça te chante, mais t’étonnes pas après qu’on t’appelle comme ça, si jamais t’es pris. Au suivant ! – conclut-il en élevant la voix, la mine maussade.
Une autre table était dressée au fond de la salle, présidée par un quatuor d’halflings qui constituaient le jury, chargé d’interroger les candidats, de les faire parler, de juger leur potentiel et de débattre de leur éventuelle possibilité de rejoindre les rangs du Real Boitar. Le célèbre capitaine Tholot dit l’Ancien, accompagné de son acolyte de toujours Eggon Vieuxmoulin, étaient entourés par deux autres anciens de l’équipe, en les personnes du rude et coriace Calben Drupoil et du malicieux et narquois Sherlock Vertecuillère. Sur la table devant eux était entreposé un amoncellement de plateaux de charcuteries et de formages divers, et de nombreux brocs, carafes et pichets occupaient les rares espaces vides laissés entre les assiettes. Les quatre amis se servaient allégrement dans les victuailles et les boissons, qu’une serveuse s’empressait de remplacer de manière quasi discontinue. Le jury discutait présentement avec un semi-homme à la posture avachie, au visage chevalin, aux yeux tristes et cernés et au crâne dégarni doté de quelques touffes de cheveux bouclés au niveau des tempes.
- Bon alors mon gars, euh… Josef Sacrépied… - intervint Tholot calmement en jetant un regard circonspect à la fiche du candidat qu’il tenait dans la main. – Pourquoi penses-tu pouvoir intégrer le Real Boitar ?
- C’est qu’euh… J’aime bien taper l’ballon ? – répondit l’individu sur un ton interrogatif, en grimaçant nerveusement et en jetant des regards incertains tout autour.
- Et t’as déjà joué au Blood Bowl ? – lui demanda le capitaine. – T’as déjà fait un match, même entre halflings ?
- Euh… Pas vraiment, non. Juste qu’avec mon frangin, on aimait bien s’lancer la balle quand on était petits… - indiqua le dénommé Josef en se tordant les mains.
- Mais pourquoi t’es venu alors ? – s’étonna Tholot.
- Ben… on m’avait dit qu’y’avait d’la bière gratos, alors…
- D’accord, merci. – souffla Eggon en levant les yeux vers le plafond, manifestement désespéré. – C’est bien. On te rappellera. Au suivant !
Un semi-homme encore plus pitoyable que le précédent se présenta devant la tablée en enlevant la calotte rapiécée qu’il portait sur la tête et en s’inclinant gauchement. Il suait à grosses gouttes et son visage rubicond et veiné démontrait un penchant plus qu’abusif pour la picole en tout genre.
- Alors on m’a dit qu’j’doive m’présenter à vous’aut’. C’est qu’j’me nomme comme qui dirait Raffi. Tout l’monde m’appelle Raffi l’Pied-bot. Ou alors l’Pochtron ou l’Estropié, si vous voyez c’d’quoi j’veux causer. – dit ce dernier en baissant les yeux et en pointant de l’index vers le sol.
Les quatre amis écarquillèrent les yeux médusés en constatant que l’individu qui se tenait devant eux marchait à l’aide d’une béquille en bois qui remplaçait l’une de ses jambes à partir du genou et que, autre détail scabreux, il manquait la main gauche au bonhomme.
- Non mais attend’ ! – hurla Calben de sa voie éraillée. – T’fous pas d’not’ gueul’ un peu, l’ami ?
- C’est qu’pourquoi qu’vous dites ça ? – s’étonna l’infirme.
- T’as pas r’marqué ? T’manque une guibole, mon con ! – beugla de plus belle Calben en postillonnant par-dessus la table.
- Et une main ! – renchérit Sherlock avec sagacité, les yeux plissés.
- Ah ça oué, c’sûr ! – répondit le dénommé Raffi en hochant la tête avec assentiment. – J’les ai paumées à l’époque où j’trimais sous les ord’ du Baron de Lestac, voyez-vous. Il m’nait la guerre au Doc de Belmont. Sacrée empoignade qu’c’était, oh oué ! On en a fait du grabuge dans l’pays, les gars et moi ! J’servais dans l’régiment d’éclaireurs. L’problème c’est qu’l’Baron, il nous payait surtout en picole. D’la vinasse frelatée, mais on avait rien d’aut’. Les temps étaient durs, ça oui ! Bref, un soir on a trop picolé puis les éclaireurs d’en face nous sont tombés d’sus. Vous comprenez quoi. D’puis, j’ai c’te béquille à la con et un sacré goût pour l’rouge, ha ! – conclut-il enjoué, en gloussant d’une voix rocailleuse.
- Mais on a rien à carrer d’tes histoires d’poivrot ! – brailla une nouvelle fois Calben.
- Vous ne pouvez pas jouer à Blood Bowl, Raffi. – constata calmement Eggon. – Vous êtes… infirme.
- Et alors ?! – s’emporta l’individu en levant haut sa main valide. – C’est parc’qu’il m’manque un bout d’jambe qu’vous dites ça ?!
- Et un bras. – constata, de nouveau avec perspicacité certaine Sherlock.
- Soyez sérieux l’ami ! – Eggon essaya de calmer la situation. Vous ne pouvez pas courir normalement, ni attraper un ballon, ni même lutter à armes égales contre nos adversaires. Vous ne pouvez pas le nier quand même.
- Hé dites donc vous l’gamin ! – grogna l’infirme. – J’peux p’tet pas courir comme vous aut’, mais j’pourrais encore vous botter les fesses si l’envie m’prenait, doudiou’ !
- Ah oué ? – siffla Calben en sautant par-dessus la table. – On va voir ça ! – Il se jeta sur le malheureux Raffi, qui, le regard stupéfait, vit fondre sur lui le vétéran du Real, lequel le bouscula et le jeta violemment au sol. – Allé, d’gage d’là vieux débris ! T’as pas à m’nacer mes pot’ !
L’individu avait visiblement du mal à se redresser et fut aidé en cela par un Calben devenu tout à coup plus calme, qui le souleva en le saisissant par l’arrière du col en époussetant le veston de celui-ci avec ses mains rugueuses.
- Allé l’vioc’, t’fais pas l’poids. – constata-t-il amèrement. – Sans rancune, mais on a pas b’soin d’toi.
Raffi se libéra vivement des mains du joueur du Real Boitar, et gronda méchamment :
- C’est d’la discrimination, ça ! C’est dégueulasse ! C’est comme ça qu’vous traitez un vétéran d’guerre !
- C’est ça, c’est ça. – répondit Tholot consterné. – Merci, mais j’pense qu’on va devoir se passer de toi. Va boire une bière au comptoir plutôt. Allé, au suivant !
- Bonjour Messieurs ! – tonna la voix puissante d’un halfling solidement bâti et richement vêtu qui se présentait devant les quatre membres du jury. Il sourit de manière franche et vive à ces derniers, leur lançant un regard avenant et pétillant de sous une cascade de boucles couleur miel. – Albert Duboudoir. De ces Duboudoir ! – conclut-il dans une courbette parfaite en soulignant l’apparente importance de son patronyme.
- Desquels ? – demanda laconiquement un Sherlock interloqué.
- Pardon ? – l’étranger se redressa en clignant des yeux, surpris. – Comment ça desquels ?
- Desquels Duboudoir, quoi ? – précisa le joueur du Real en se curant les dents avec son ongle.
- Bien de ceux-là, pardi ! – répondit l’halfling blond en haussant le ton. – Lesquels voulez-vous que ce soit.
- J’en sais rien moi, j’disais ça comme ça. C’est toi qui es venu nous causer d’ta famille. – observa calmement Sherlock.
- On s’en fout ! – le coupa Tholot. Ferme-là un peu Sherlock. Bon, Albert, ainsi tu veux rejoindre le Real Boitar ?
- Ma foi oui, Monsieur ! – affirma avec vigueur l’halfling.
- Et qu’est ce qui te fait dire que tu ferais l’affaire ? – l’interrogea immédiatement Eggon, une note de malice dans la voix.
- Messieurs ! – le jeune candidat se campa solidement sur ses jambes et dans un geste théâtral déclama : - Je suis né pour le Blood Bowl ! Je pratique ce sport depuis tout jeune. J’ai fait mes classes dans les meilleures académies du pays, et écumé bon nombre de terrains verts. J’ai fait partie de la plus belle équipe universitaire halfelines ! Les Coqs Voraces de Bordeleaux ! J’en étais naturellement le capitaine et le meilleur marqueur durant trois années de suite ! Vous avez certainement dû entendre parler de nous. De moi ! Je me suis rendu célèbre en marquant quatre touchdowns durant la finale universitaire d’il y a deux ans ! C’était dans tous les journaux de la ville !
- Ah oué ? T’as joué ‘vec des gamins quoi ! – constata avec agacement Calben.
- Comment ça Monsieur ? – s’étonna une nouvelle fois le jeune Albert en clignant des yeux.
- T’as joué à la baballe, hein. Avec tes copains d’la fac ! Hé, sacré numéro qu’on a là les gars ! – brailla le vétéran halfling. – Et dis moi, mon p’tit, c’étaient qui vos adversaires, hein ? Les connards d’en face, c’tait qui ?
- Bien, Monsieur… - répondit le candidat un peu gêné et sur la défensive. – Nous jouions contre d’autres étudiants. Des adversaires venus des autres universités concurrentes.
- Ha ! C’est ça ! Des fils à m’man. Des p’tits branleurs qui s’prenaient pour des stars. Dis moi gamin, t’as du attirer d’la gonzesse, hein ? D’la ptite étudiante en r’cherche du grand frisson ‘vec un m’chant garçon. T’as du fair’ mouiller d’la culott’, pas vrai ?
- Non mais non mais, j’comprends pas… - s’étrangla le halfling blondinet en serrant son poing sur sa poitrine.
- Tu t’prends pour un s’per joueur, hein ? Une star ? – beugla Calben avec vigueur. – Alors réponds à ma d’vinette. A quel’ vitess’ en moyenne vole un b’lon jete par un putain d’lanceur skaven ? T’sais ça ?
- Non mais, c’est quoi cette question à la con, Calben ? – lui demanda Tholot étonné.
- Laisse-moi faire l’Ancien. – riposta le rude halfling. – Alors gamin, quelle vitesse ?
- Je n’en sais rien… On ne nous a pas appris ça… - essaya de se justifier Albert.
- Quelle vitesse putain ! – hurla Calben en tapant du poing sur la table.
- Euhhh, je sais pas… Sept yards la seconde peut être ? – répondit avec circonspection certaine le jeune halfling.
- Ha ! Mauvaise réponse ! – sourit méchamment Calben. – C’tait un piège ! Tout l’mond’ sait qu’un lanceur skav’, ça lance j’mais la balle, cette sal’té d’pourriture-là ! On veut pas d’toi, gamin ! Allé, bouge d’la !
- Qu’est ce qui te prend mon vieux ? – l’interrogea Eggon avec grand étonnement, alors que Albert, incrédule, faisait demi-tour et s’en allait en soupirant, la tête basse. – Il était bien ce petit, non ? Propre sur lui, calme, bien éduqué…
- P’tit connard prétentieux oué ! – pouffa Calben dans une grimace. – J’m’ais pas son genr’. Nous fau’ du bonhomm’, du gars rude à la tâche, et pas un blanc’bec d’collégien à m’man !
- Bon. – souffla Tholot désemparé. – On avait dit qu’il fallait qu’on soit tous d’accord sur le candidat. S’il plait pas à Calben, alors… Au suivant !
Le candidat suivant était un halfing assez âgé, à la barbe broussailleuse, aux joues gonflées et au nez aplati, qui mâchouillait bruyamment une saucisse dégoulinante de graisse. Il s’essuya négligemment ses mains sur son pourpoint crasseux et toussa en se présentant, répandant des bouts de charcuterie sur le sol.
- Alors, moi, tel que vous m’voyez, j’me nomme…
- Non pas toi. – l’interrompit tout à coup Sherlock.
- De quoi ? – s’étrangla le candidat en recrachant un gros morceau de saucisse qu’il s’apprêtait à avaler.
- Toi, tu dégages. – répondit Sherlock stoïquement en agitant sa main, faisant comprendre à l’halfling barbu qu’il devait s’en aller.
- Qu’est ce qu’il y a encore ? – s’étonna Tholot en faisant les grands yeux à son compère. – Il s’est pas encore présenté, celui-là !
- Et alors. Si Calben a l’droit de rembarrer des candidats, alors moi aussi ! – affirma avec vigueur Sherlock, sous les regards ébahis des trois autres membres du jury.
- Non mais il a rien dit encore ! – voulut protester Eggon.
- M’en fous. J’utilise mon droit d’véto ! J’y ai droit ! – clama l’halfling, imperturbable.
- Puain, mais t’es con ! – hurla Tholot. – A ce rythme là, on trouvera personne avant notre prochain match. Tu fais chier, mec !
- J’m’en fous. Calben peut dégager du candidat, alors moi aussi ! Et puis c’est tout ! – riposta en se refrognant son comparse, en regardant son capitaine par-dessus une assiette de fromages.
- Je n’aurais jamais du t’faire entrer dans ce jury, merde. – affirma Tholot de manière véhémente. Et puis qu’est ce que t’as à me regarder comme ça ? Tu t’sens pas bien ou quoi ? – demande Tholot incrédule en jetant un regard exaspéré à Sherlock, lequel reluquait son camarade les yeux plissés, au travers d’une fourchette qu’il tenait devant son visage.
- Ba quoi ? J’te regarde quand tu m’parles. – répondit immédiatement Sherlock sur un ton faussement offusqué.
- Qu’est ce que tu fous avec cette satanée fourchette, merde ? – s’emporta le capitaine.
- Bah, tu m’énerves. Et quand quelqu’un me met en rogne, je le regarde à travers une fourchette en m’imaginant qu’il est en prison. Ça m’apaise. – l’informa son compère de manière quelque peu solennelle.
- Laisse tomber. T’es vraiment atteint, Sherlock. – conclut Tholot en tournant la tête de dépit. – Bon ! Au suivant !
La journée avançait à grand rythme, et les membres du jury, de plus en plus fatigués durent peu à peu constater avec effarement et dépit qu’ils auraient énormément du mal à trouver un candidat convenable qu’ils pourraient recruter, et ce d’autant plus qu’ils se faisaient un malin plaisir à refuser le moindre halfling qui paraissait, ne serait-ce qu’un court instant, plaire à l’un d’eux. Autant dire, l’ambiance autour de la table était délétère. Chacun regardait son voisin avec méfiance, lui coupait la parole ou lançait des invectives déplaisantes. Les quolibets et autres noms d’oiseaux volaient haut, alors que défilait devant les quatre vétérans une longue et désespérante procession de ce que la capitale attirait de pire. Poivrots, gueules cassées, simples d’esprit ou bouseux ordinaires, on eut dit que la lie de la société halfling venait se présenter ce jour à l’auberge du Crampon Doré pour présenter ses hommages au célèbre Real Boitar, à moins que ce ne soit l’alcool et le buffet offerts qui attirassent les intéressés…
- L’en reste combien, Lorel ? – vociféra d’une voix enrouée Tholot en direction de son ami présent à la table des inscriptions, alors qu’un nouveau candidat se faisait rabrouer par les membres du jury à cause de ses dents gâtées et d’une verrue déplaisante en plein milieu de son visage.
- M’en reste un seul les gars ! C’est fini, va falloir choisir parmi tous ceux qu’vous avez vu ! – répondit en beuglant son ami.
- Mince, on est pas sortis de l’auberge alors. – constata avec effarement Eggon.
- Tu l’as dit ! – abonda dans le même sens Sherlock.
- Bon, allé zou, l’dernier. – soupira Tholot.
Se présenta alors devant le jury un halfling au physique banal, plutôt sec et à la posture légèrement désinvolte, au visage neutre et glabre, mais au teint frais et au regard vif et tonique. Une masse de bouclettes brunes ornait le sommet de son crâne, dont les côtés et l’arrière étaient rasés de près.
- Salut la compagnie. Voilà, j’me présente, j’m’appelle Lupin. Lupin Grainsec. – se présenta l’individu d’une voix calme et posée.
- S’lut mon gars ! – répondit avec force Calben. – T’es l’dernier, t’as intérêt à assurer !
- Bien, Lupin, c’est ça ? – intervint Tholot rapidement, voulant visiblement terminer au plus vite avec la corvée des auditions. – Alors comme ça, t’as envie de jouer au Blood Bowl ?
- Yep. Affirmatif. – répondit laconiquement l’intéressé.
- Mais encore. Pourquoi penses-tu pouvoir être des nôtres ? – lui demanda Eggon.
- Bah, vous avez l’air d’une sacrée bande de potes ! En plus, quelle aventure vous vivez ! Les matchs, les soirées, la presse, les filles ! Le star-système quoi ! Ça donne clairement envie ! – s’enthousiasma le dénommé Lupin. – Moi aussi, j’aimerais vivre ça !
- D’accord, d’accord, mais tu sais jouer au Blood Bowl ? T’as déjà joué ? – l’interrogea Tholot en souriant.
- Ba non. Pas du tout. – précisa le candidat en haussant les épaules.
- Ah oué ? Et la bagarr’, t’aim’ çô la bagarr’ ? – le questionna Calben de manière sarcastique. – T’as pas l’dégain’ d’un cogneur toi !
- Pas plus que ça en fait. – constata le jeune halfling.
- Et courir alors ? – intervint de nouveau Tholot. – Tu cours vite peut-être.
- J’sais pas. Non. J’dirais que comme tout le monde, quoi. – répondit pensivement Lupin.
- Alors quoi ? T’es plutôt adroit alors ? Tu lances bien la balle, c’est ça ? – s’étonna Eggon.
- Non plus, non. – précisa le candidat. – En fait, j’crois que j’ai jamais essayé.
- Fait chier ! – souffla de dépit Calben en se passant la main sur le visage.
- C’est pas possible, on y arrivera pas. – soupira Eggon avec consternation.
- Ba alors, gamin ! – protesta vivement Tholot. - Si tu ne sais pas jouer, si tu n’cours pas vite, si tu t’bagarres pas et si tu n’sais même pas lancer un ballon, qu’est ce que t’as d’plus pour qu’on retienne ta candidature ?!
- Ba, en fait, j’ai ça. – indiqua laconiquement Lupin. Puis, il défit sa ceinture et déboutonna sa braguette.
- Bonne Mère de Dieu ! – s’étrangla Eggon en recrachant la bière qu’il venait d’avaler.
- Oh putain ! – jura Sherlock les yeux exorbités.
- Ça c’est d’la bêt’ d’concour’ ! – grimaça Calben en se tapant dans les mains.
- Les gars ! – déclara sur un ton solennel Tholot. – J’crois qu’on l’a, notre recrue.
***
Le soir était tombé depuis plusieurs heures alors que deux humains accompagnés de deux halflings progressaient sans hâte, à dos de montures, au milieu d’une dense et ancienne forêt de pins, située à quelques miles de distance de la capitale. Le ciel nocturne était dégagé, et l’éclat des étoiles brillant puissamment sur la voute céleste ainsi que la lune, proche de sa plénitude, éclairaient plaisamment le sinueux chemin forestier qu’empruntaient les cavaliers. L’air frais de la nuit faisait s’élever du sol humide une brume épaisse, qui recouvrait de son linceul immaculé l’humus sylvestre et s’engouffrait parmi les fougères et les buissons de mûres, baignant les lieux dans une atmosphère envoûtante de mystère et de magie.
- C’est encore loin c’te cahute ? – la voix perchée et plaintive d’un halfling brisa le silence contemplatif dans lequel les quatre individus étaient tombés.
- Oh, tais-toi un peu Sherlock. – soupira son compère en levant les yeux au ciel. – Toujours à t’plaindre.
- J’ai mal au cul. Ça fait des heures qu’on crapahute sur ces satanés canassons ! – protesta le halfling en faisant la moue. – Et puis pourquoi c’est moi qui m’tape cette corvée ? Pourquoi c’est pas Tholot ? C’est lui d’habitude qui s’coltine les virées !
- Parce que Tholot surveille vote bande de minables. – intervint le coach avec virulence. – J’veux plus d’histoires comme la dernière fois, bande de poivrots dégénérés !
- Mais elle peut pas habiter en ville c’te grognasse, aussi ? – renchérit sur le même ton plaintif le semi-homme. – Faut vraiment qu’on s’balade dans un trou paumé au fin fond d’une forêt à la con, pleine de tiques et de ronces ?
- Non mais ! C’est une chamane et une druidesse ! – s’immisça le quatrième individu. Un vieil humain rachitique portant une bure verte délavée et un chapeau conique élimé. – Son domaine est la divino-mancie naturelle. C’est normal qu’elle habite dans une forêt !
- Garde tes réflexions pour toi, l’vioc’. – répliqua sur un ton morose Sherlock. – On t’paye pas pour que tu l’ouvres. L’coach t’a demandé que tu nous organises un rendez-vous avec la dame, pas qu’tu t’la ramènes avec tes sarcasmes à la noix !
- D’ailleurs, pourquoi faut qu’on voie c’te sorcière ? – la voix interloquée d’Eggon s’immisça dans la conversation.
- Ce n’est pas une sorcière ! – aboya le mage qui les accompagnait.
- Boucle-là Robert, toi aussi. Sérieusement, faut vraiment que je vous réexplique tout à chaque fois ? Vous avez la cervelle ramollie ou quoi ? – s’agaça Duda en se retournant vers le halfling poilu. - C’est qui nos prochains adversaires ? Hein ?
- Bah, des amazones si j’me rappelle bien. – répondit Eggon, hésitant.
- Précisément des amazones. De la chienlit d’bonnes femmes rapides, agiles et adroites et qui cognent comme des nains. – affirma l’entraineur avec vigueur.
- Pfff. Tu parles ! – s’esclaffa Eggon, sur un ton quelque peu sarcastique. – Des gonzesses. Les gonzesses, ça n’sait pas jouer au ballon.
- Ah bon ? – répliqua Duda d’une voix agacée. – On doit jouer contre une équipe qui a lutté à armes égales avec des équipes d’orques ou d’hommes-lézards, qui a battu une team d’elfes noirs, que des équipes face auxquelles vous n’auriez pas tenu deux minutes sur le terrain, bande de mauviettes !
- Et alors ? – le questionna Sherlock, étonné.
- Et alors il nous faut un plan. – répondit l’entraineur avec irritation.
- Oué ben, ça ne nous explique pas ce qu’on fout dans cette fichue forêt à crapahuter comme des idiots en pleine nuit, plutôt que de passer une bonne soirée avec les potes à la Dryade Frivole. – continua Sherlock.
- Putain, parfois j’me demande vraiment pourquoi j’vous traine avec moi, les rase-mottes. – s’énerva le coach. – Notre prochain match, c’est contre des putains d’amazones. Et il s’avère que j’vous emmène, vous les vétérans de cette foutue équipe de simplets, voir une putain d’amazone.
- De quoi ? J’croyais que c’était une sorcière ? – s’étonna une nouvelle fois Eggon.
- Une chamane ! Une druidesse ! Pas une sorcière ! – glapit le mage. – Je serais vous, j’éviterais d’employer ces termes en sa présence. Elle est quelque peu… susceptible sur certains points.
- Pfff. Satanées bonnes femmes. – Sherlock fit la moue en pouffant. – Et en quoi elle va nous aider ?
- Tu verras le moment venu, gamin. – répondit rapidement l’entraineur. – Vos gueules maintenant. La Marrante a dû sentir quelque chose. J’crois qu’on arrive. – conclut-il alors que sa monture pouffait en remuant la tête d’haut en bas, visiblement inquiète.
Effectivement, au détour d’un virage, ils débouchèrent sur une petite clairière située en bas d’une colline dégagée, au sommet de laquelle, accrochée au flanc d’une falaise abrupte, était bâtie une grande chaumière en pierre meulière. Une douce lumière filtrait au travers des petites fenêtres à carreaux et de la fumée grise d’échappait par la cheminée de la bâtisse. Un discret chemin de terre battue, situé au milieu des hautes herbes de la clairière, menait jusqu’à la masure. Par-delà la falaise, l’éclat jaunâtre de la ville lointaine éclairait d’un halo doré le ciel nocturne et seuls quelques chants d’oiseaux et les hennissements des chevaux rompaient la quiétude des lieux. L’endroit eut pu paraitre idyllique si ce n’étaient les divers crânes plantés sur des bouts de piques, tas d’ossements ou colifichets morbides accrochés aux branchages des arbres, qui rendaient l’atmosphère quelque peu lugubre et glauque.
- Hé bé. Charmant endroit. – remarqua ironiquement Eggon en avisant les babioles macabres éparpillées le long de la montée. – Si elle avait voulu faire fuir les clients, elle s’y serait pas pris autrement.
- C’est clair. – confirma Sherlock. – Y’a pas à chier, au niveau marketing, on a vu mieux.
- Vous ne comprenez rien à rien vous les jeunes. – les admonesta Robert. – Ce décorum, ça fait partie de la fonction. Il faut préserver les apparences, donner dans le mystique, l’inquiétant. Sinon…
- Sinon le charme s’estompera. – le coupa Eggon, une note de sarcasme dans la voix. – Les gens vont comprendre qu’en réalité, vous êtes qu’une bande de charlatans et arrêteront d’raquer des fortunes pour vos tours de passe-passe minables. C’est ça ?
- Moquez-vous. – répondit solennellement le vieux mage en faisant la moue. – On va voir si vous allez autant rigoler tout à l’heure face à elle.
- Genre quoi ? Si on est méchants, elle va nous transformer en crottin de chèvre ou quoi ? – railla Sherlock.
- Non. – intervint tout à coup le coach. – Et t’filera une telle torgnole que tu vas faire deux fois l’tour de ton cul avant d’avoir compris ce qui se passe, et tu diras « merci Madame » en bonus.
- Oui, elle est… pas commode, c’est sûr. – observa pensivement Robert. – J’espère que vous avez amené le présent ? On ne vient pas déranger une dame la nuit sans amener un cadeau.
- Ouaip. Je l’ai. – confirma Duda entre les dents. – J’suis pas crétin, non plus.
- Quoi ? – s’offusqua Sherlock. – Déjà qu’on la paye plein pot, qu’on se déplace dans sa forêt toute pourrie, faut encore lui amener une offrande ? Non mais elle s’fout pas un peu d’notre gueule la bougresse ?
- Ça suffit ! – l’interrompit sèchement Duda. – Sherlock, je t’ai déjà dit de la fermer, alors tu la boucles. Tu ne l’ouvres que si je t’autorise à le faire.
- D’accord. – pesta l’intéressé en pouffant d’exaspération. – C’est toujours ma faute, c’est moi qui ramasse…
- On y va maintenant. – conclut l’entraineur en talonnant les flancs de sa monture et en donnant un petit coup de rênes. – Allé la Marrante, courage, on y va ma vieille.
Ils avaient arrêté leurs montures près de l’abreuvoir situé sous un petit auvent dressé contre le mur de la chaumière. Le mage donnait aux chevaux quelques pommes alors que les deux halflings et leur coach avaient pris les devants, lorsque la porte d’entrée du bâtiment s’ouvrit, laissant échapper une bouffée de chaleur et faisant éclairer brièvement la nuit d’une lumière chaude d’un feu de cheminée. La maîtresse des lieux apparut dans l’ouverture et les deux halflings eurent tout à coup le souffle coupé. Ils furent pétrifiés, comme frappés par la foudre, les bouches pendantes et les yeux écarquillés devant la créature qui leur faisait face. De longs cheveux d’un noir de jais tombaient librement autour un visage jeune, aux proportions parfaites. De grands yeux sombres, surlignés par un léger maquillage au charbon, de hautes pommettes saillantes, un nez fin et droit et une bouche plantureuse, complétaient un physique svelte et tonique : de longues jambes graciles, une taille marquée, un ventre plat et musclé et une poitrine ferme. On eut dit que la plus belle des courtisanes du roi avait fui le palais royal pour se refugier en pleine forêt. Sauf qu’il ne s’agissait pas d’une courtisane, bien au contraire. Il s’agissait manifestement d’une sorcière de ce qu’il y a de plus sorcier. Sous un épais manteau de fourrures, jeté négligemment sur ses épaules, et décoré de multiples plumes de corbeau et autres ossements, elle portait une tenue très légère, affriolante même, composée d’une très courte juppette échancrée en peau de serpent, d’un corset décolleté en cuir s’arrêtant au-dessus du nombril, ainsi que de petites bottines en fourrure. Une amulette en dents d’ours entourait son cou de cygne, et ses bras étaient recouverts de bracelets enroulés d’or et d’argent aux motifs cabalistiques.
Elle s’appuya lascivement contre le chambranle, repliant une jambe sur l’autre, ce qui fit découvrir d’avantage sa cuisse musclée, et proclama de manière sensuelle et suave mais néanmoins avec une dose dangerosité et de malice dans la voix :
- J’ai fait un bon feu. Vous ne voulez pas venir vous réchauffer près de mon feu ?
- Euh… - Sherlock perdit de sa morgue et de son espièglerie traditionnelles, oubliant même son vocabulaire, d’habitude si fleuri.
- B...b… bonsoir Madame. – réussit à balbutier maladroitement Eggon.
- Elle ressemble pas vraiment à une sorcière… - observa tout bas Sherlock.
- Ah bon ? – s’étonna le coach en murmurant. – Et ça doit ressembler à quoi une sorcière ?
- Venez, entrez donc. – les invita la druidesse d’un geste lent et grâcieux, en écartant le rideau en toile qui protégeait l’ouverture du froid nocturne.
C’est à ce moment que Robert, ayant fini de nourrir et d’abreuver les montures, pointa le bout de son chapeau en sautillant gaiement.
- Bonsoir Zamora ! – proclama-t-il d’un ton enjoué. – Je t’amène des invités, comme convenu !
La chamane eut un mouvement de recul et fronça les sourcils.
- Ah, c’est toi. – constata-t-elle, refrognée. – J’pensais pas que tu serais de la compagnie, à vrai dire.
- Bah, c’est qu’il a fallu leur montrer le chemin, à ces Messieurs d’la ville. – répondit le sorcier en dévoilant ses dents gâtées. – Tu sais, dans la forêt les nuits sont sombres et…
- C’est bon, c’est bon, j’connais ta rengaine, vieillard. – l’interrompit la femme. – Bon, puisque tout le monde est là, entrez donc. – conclut-elle en s’écartant de la porte et en invitant les voyageurs à l’intérieur.
Robert prit les devants et sourit béatement à la sorcière en passant devant elle. Celle-ci détourna le regard, en révulsant les yeux, la mine blasée. Les deux halflings suivirent le vieil humain sur la pointe des pieds, incertains et perplexes, en observant les alentours sans oser regarder leur hôte. Duda fut le dernier à pénétrer dans la chaumière. Lorsqu’il passa devant Zamora, il lui tendit un bouquet de roses violettes, acquises le jour même au marché des fleurs de la capitale, selon les indications de Robert.
- Mes hommages Madame. Permettez-moi d’vous offrir ces quelques fleurs. – dit l’entraineur en inclinant sèchement la tête.
Zamora le dévisagea intensément et répondit d’une voix lascive, empreinte d’une sensualité paroxysmique :
- Bonsoir guerrier. Je vous en remercie. Vous savez comment plaire à une femme. Je pense que nous aurons beaucoup à nous dire vous et moi…
A l’intérieur de la cahute, la sorcière indiqua aux deux humains et aux halflings de s’asseoir sur un épais amoncellement de peaux de bêtes diverses et variées. Les invités constatèrent que la mansarde était décorée de manière rustique mais sobre. Un feu vif brûlait dans une immense cheminée, sur le linteau de laquelle étaient entreposés de nombreux bougeoirs allumés. Contre les murs en pierre nue se dressaient d’énormes étagères sur lesquelles étaient rangés, visiblement avec ordre et minutie, une multitude de livres, de pots, de bocaux ou autres pilons, tous remplis d’ingrédients plus étranges les uns que les autres. Une table massive occupait un coin de la pièce. Sur son plateau était posé un brasero allumé, sur lequel cuisait une marmite en fonte. Derrière la table de trouvait un fauteuil à l’apparence inquiétante, au dossier en peau usée, qui laissait apparaitre la face horriblement mutilée d’un humanoïde, et dont la traverse et les accoudoirs étaient décorés de crânes humains et animaux. Du plafond pendaient de nombreux colifichets faits d’os, de branchages et de plumes, ainsi qu’un bon nombre de bouquets de fleurs séchées.
La sorcière claqua violemment la porte, faisant sursauter ses convives, puis se rapprocha de la cheminée en les observant fixement. Puis, sous leurs yeux ébahis, elle arracha les têtes des roses qu’elle venait de recevoir et les avala une par une, en mâchouillant bruyamment. Elle jeta les tiges nues dans le feu, rota très fort et déclara, visiblement satisfaite :
- Bien. Vous n’avez pas oublié ma petite gourmandise. De la part de mâles décérébrés, c’est pas mal. Un bon début, Messieurs. Qu’est-ce que je peux faire pour vous alors ?
- Nous avons besoin de vos conseils Zamora. – intervint Duda posément.
- Tout le monde a besoin de conseils. Tout le monde veut obtenir quelque chose. – répondit cette dernière de manière sibylline. – Qu’est ce qui vous dit que je pourrais vous aider ?
- Nous sommes une équipe de Blood Bowl. Peut-être Robert ici présent vous a transmis cette information ? – tenta d’expliquer le coach.
- Naturellement que j’l’ai fait ! Et comment ! – s’esclaffa le vieux mage en se tapant les cuisses, alors que l’entraineur le regardait, interloqué.
- Bref, l’équipe halfling que j’ai le plaisir d’entrainer. – reprit Duda en insistant de manière quelque peu ironique sur le mot « plaisir ». – Cette équipe doit rencontrer très prochainement une team d’amazones. Or, en votre qualité d’ancienne joueuse…
Zamora l’arrêta d’un geste de la main. Elle sourit à pleines dents et affirma :
- Halflings vous-dites. Et vous jouez des amazones ? Arrêtez tout de suite, vous avez déjà perdu.
- Mais… - voulut protester Eggon.
- Comment ça perdu ? – s’étrangla Sherlock.
- Taisez-vous. – siffla le coach de manière véhémente en direction de ses joueurs. Puis il reprit, à l’attention de leur hôte : - Précisément, nous avons peu de chances, très peu de chances, c’est pourquoi nous venons vous voir.
- Non, vous vous trompez, guerrier. – le corrigea la chamane. – Vous n’avez pas peu de chances, vous n’avez aucune chance. Comme vous l’avez dit, dans une ancienne vie, j’écumais les terrains de Blood Bowl en compagnie de mes s½urs. – Elle leva la tête et son regard se fit fuyant, comme si elle se remémorait une lointaine période. – Ah. Nous étions les reines des stades, partout où nous allions. On nous lançait des fleurs, on nous offrait des présents somptueux, on chantait à notre gloire. Quelle belle période… Jusqu’à ce que des salauds de mâles ventripotents de la Ligue, dépravés et obscènes, emplis de lubricité et de vilenie, mus par une haine et une jalousie féroces, nous mettent des bâtons dans les roues. – son visage se figea dans un rictus mauvais. – Bref, j’en étais où ?
- Vous disiez qu’on avait aucune chance. – riposta le coach, la mâchoire serrée.
- Oui, c’est vrai, aucune chance. – confirma la sorcière. – Vos p’tits gars gras du bide, avec leurs ridicules pates courtaudes, ils vont s’emmêler les pinceaux face à mes graciles et agiles s½urettes. Les filles vont vous aguicher, vont vous ensorceler, vont vous déborder et vont vous tabasser. Autant dire, vous allez être ridicules sur le terrain, petits hommes risibles que vous êtes. Le sort de votre match est plié. La féminité est en marche et elle vaincra ! – tonna Zamora de manière solennelle en levant les bras. – Nous aurons notre vengeance sur ces grotesques mâles écervelés !
Le silence se fit dans la pièce, les quatre visiteurs se regardant abasourdis devant ce discours virulent auquel ils ne s’attendaient pas. Manifestement, ils ne savaient comment réagir face à la déclamation de la sorcière.
- J’vous avais dit qu’elle était spéciale. – glissa ton bas Robert, en se couvrant la bouche de la main.
- Euhhh… Mais on a rien fait d’mal M’dame. – observa Eggon, la voix incertaine. – On veut juste jouer au Blood Bowl, nous…
- Ha ! Jouer au Blood Bowl ! – clama la femme sur le même ton agressif. – Vous ne comprenez pas qu’il ne s’agit pas de sport ?! C’est la guerre ! La guerre des sexes ! L’intelligence féminine au service de la beauté face à la grossièreté et l’obscénité de bêtes puantes ! Mais vous ne nous aurez pas, avec vos petites quéquettes rachitiques ridicules ! Mes s½urs ne se laisseront pas faire et vous payerez cher votre insolence génitale !
- De quoi ? – s’étrangla Sherlock. – Quelle insolence ? Comprends pas là.
- Ah vous ne comprenez pas ? – siffla Zamora, en souriant méchamment. - J’estime que nous les femmes, nous n’avons pas à subir les fantasmes carriéristes d’une entité générationnelle réactionnaire et oppressive !
- Hein ? – Eggon se gratta la tête, totalement perplexe. – Une quoi ?
- Les hommes ! Nous ne laisserons pas nous faire par les hommes ! Plus jamais ! Vous êtes tous les mêmes ! Vous venez me voir pourquoi ? Pour que je vous donne des conseils sur la meilleure manière de battre mes frangines ! – tonna agressivement Zamora. – Vous voulez assouvir vos répugnantes pulsions de mâles dégueulasses, et vous m’offrez des fleurs en échange ? Vous pensez vraiment, dans votre esprit bouffi d’orgueil et de prétention, que la morale d’une femme s’achète comme ça, avec un vulgaire bouquet de roses ? – conclut-elle en pointant du doigt les deux halflings.
- Cesse tes jérémiades, sorcière. – grogna tout à coup Duda, le visage tordu par un rictus ironique. – Nous savons parfaitement comment plaire à une femme. Dis-moi si cela suffit à te faire changer ton discours ?
Il ouvrit alors la besace qu’il avait apportée avec lui, et en sortit une replète bourse en cuir brun, fermée à l’aide d’un cordon doré. Il la jeta négligemment aux pieds de la chamane, dans un bruit de pièces entrechoquées. Cette dernière s’arrêta immédiatement de gesticuler et, raide comme un piquet, baissa le regard vers la sacoche. Tout en continuant d’observer ses quatre convives, elle s’accroupit doucement, langoureusement, mettant en avant sa poitrine ferme et généreuse. Elle ouvrit la bourse et un éclat jaune et métallique irradia son visage.
- Bah, dites donc. Vous vous moquez pas d’moi, les gars. – affirma-t-elle, alors qu’un sourire se dessinait sur sa bouche. – Vous auriez pu commencer directement par-là, on aurait perdu moins de temps.
- J’imagine que ça fait partie du personnage ? – demanda stoïquement le coach. – Faut s’faire mousser. Les temps sont durs, et tout le tralala qui va avec, non ?
- Parfaitement, guerrier. – répondit Zamora, la voix redevenue suave. – Bon, j’aime les hommes concrets. A ce prix-là, vous voulez certainement la totale, j’imagine ?
- La tot… totale ? – s’étrangla Eggon en écarquillant les yeux.
- Quelle totale ? – s’étonna Sherlock en rougissant.
- Hé, on s’calme les mecs. - les réprimanda le coach. – On est pas à la Dryade ici.
- La totale ! La totale ! – beuglait pendant ce temps-là Robert. – On veut la totale !
- Attendez moi deux minutes. – fit la chamane, puis elle se retira en hâte derrière un épais rideau qui couvrait un des murs du fond de la salle.
Les quatre visiteurs patientèrent quelques minutes dans un silence quasi-total, en se demandant où Zamora avait bien pu s’éclipser et surtout pour quelle raison. Pendant ce temps-là, le feu dans la cheminée avait baissé d’intensité, plongeant la chaumière dans une légère obscurité. Les ombres s’allongèrent, l’air se fit plus lourd et l’atmosphère devint plus pesante. Finalement, la femme sortit de derrière le rideau et les halflings eurent une nouvelle fois le souffle coupé. Cette fois-ci, Zamora ne portait sur elle qu’une petite tenue sportive d’amazone, composée d’une mince culotte et d’un soutien-gorge très décolleté aux couleurs vives. Ses bras et ses mollets étaient recouverts de plaques de protection et elle tenait dans sa main un casque coloré, décoré d’extravagantes plumes d’oiseaux. Elle s’accroupit alors et se mit à avancer à quatre pattes en direction de ses convives, alors que d’étranges bruits de tambours surgissaient d’on ne sait où, au grand étonnement des quatre hommes. Elle s’arrêta près de la cheminée et jeta dans la cheminée une poudre qui, au contact du feu, fit naitre une vive et violente flemme bleue.
- Les esprits m’ont dit que vous viendriez. – proclama Zamora d’une voix profonde et énigmatique. – Un puissant guerrier, accompagné de ses fidèles acolytes. Prends garde à lui, chamane, car sa venue marquera et l’avènement d’une nouvelle ère.
- Coach… - murmura doucement Eggon, inquiet. – Il s’passe quoi là ?
- Coach, j’ai peur. – surenchérit Sherlock d’une voix tremblante.
Puis la femme se rapprocha rapidement de l’entraineur et le renifla à la manière d’un animal sauvage.
- Je sens un immense pouvoir en toi, guerrier. – déclara-t-elle en fixant intensément l’entraineur. – Es-tu prêt à accomplir ta destinée ?
- Arrête ton cirque, femme. On est pas là pour ça. – répondit Duda, imperturbable, le dos bien droit, rompant immédiatement le charme du moment.
La sorcière cligna des yeux et se redressa instantanément. Les bruits de tambour cessèrent dans le même temps. Elle souffla d’exaspération.
- J’croyais que vous vouliez la totale. Ce cirque, comme vous dites, ça fait partie du boulot. C’est l’rituel qui donne du cachet à ma prestation. Il vous a pas expliqué ça, l’vieux chnoque à côté d’vous ? – demanda-t-elle au coach, visiblement agacée.
- Si, il m’la dit. Mais on est pas là pour ça. – répondit calmement l’entraineur.
- Eh bien, c’est dommage. Vraiment dommage. – regretta la sorcière en faisant la moue. – Ca aurait pu être drôle. Hmm, tant pis, la prochaine fois peut-être.
- C’est ça. – affirma laconiquement Duda. – La prochaine fois.
- Alors quoi ? Vous voulez quoi précisément ? – demanda Zamora.
- J’veux juste que vous nous aidiez avec ces amazones qu’on va rencontrer. – précisa vivement l’entraineur. – Sans un petit coup de pouce, effectivement on ne gagnera pas, comme vous l’avez si bien dit.
- Voyons voir. – s’interrogea la chamane, les bras croisés, le tapant les lèvres de l’index. – Et si j’vous tirais les cartes ?
- Vous savez tirer les cartes ? – s’étonna Eggon.
- Naturellement qu’elle sait ! – bondit Robert. – C’est une professionnelle, pardi ! Ah, quel dommage qu’on a pas pu avoir la totale !
La sorcière profita de l’échange entre les convives pour se saisir d’un paquet de cartes posé sur une étagère et s’assit en tailleur face aux quatre invités. Puis, elle les mélangea et commença à les tirer en les posant face découverte devant ces derniers.
- Hmmm, le Roi, suivi de la Balance. Intéressant. – déclara-t-elle sur un ton énigmatique. – Voyons voir ce que nous avons après. La Guerrière, puis le Bouffon et… l’Echafaud ! – conclut-elle dans un râle inquiétant.
- Quoi quoi quoi ?! – s’étrangla une nouvelle fois Eggon, la voix tremblante. – C’est pas bon ? C’est pas bon l’échafaud ?
- On va mourir, c’est ça ? – ponctua Sherlock le c½ur au bord des lèvres.
- Calmes vous les minus. – les réprimanda le coach. – Ca veut dire quoi ce charabia, femme ?
- Quoi les cartes ? – répliqua celle-ci sur un ton blasé. – Ca veut dire ce que j’dis, le Roi, qui sera suivi de la Balance, et viendra alors la Guerrière…
- Mais ça ne veut rien dire ! – protesta vivement Duda.
- Ba oué. C’est que des cartes à la con ! – scanda la sorcière, sur un ton exagérément outré. – Des bouts d’carton à la noix. Y’a que des péquenauds pour croire que tirer au hasard quelques bouts de carton va vous dire l’avenir.
- Pourquoi le faire alors ? – s’étonna l’entraineur.
- Vous m’l’avez demandé, non ? Moi, j’fais ce que m’dit le client. J’suis une professionnelle. – affirma Zamora de manière solennelle. – Après, si vous voulez pas les cartes, j’peux aussi lire dans les entrailles d’une poule, ou dans vos lignes de la main, ou bien j’peux jeter un sort d’invisibilité…
- Ah oué, un sort d’invisibilité ! Trop cool ! – s’esclaffa tout à coup Sherlock. – Si elle nous rendait tous invisibles sur le terrain, on le gagnerait facile ce putain d’match !
- Mais t’es con ou quoi, Sherlock. – gronda vivement Duda. – Réfléchis un peu, tête de pioche. Qu’est ce qu’elle va dire, la Ligue, si elle ne voit pas d’équipe en face de nos adversaires, juste un ballon qui vole dans les airs ? Hein ? A ton avis ?
- Clair. J’y ai pas pensé. – concéda le halfling dubitativement.
- Non, tu n’y as pas pensé, parce que tu ne réfléchis pas assez, gros nigaud. – renchérit son entraineur. Puis, tournant la tête vers la sorcière, il dit :
- Par pité, femme, arrêtez vos prédictions, vos sorts et vos farandoles. Donnez-nous juste quelque chose, une arme, pour qu’on puisse les battre, ces amazones de malheur. J’imagine qu’en votre qualité d’ancienne joueuse, vous savez ce qui pourrait avoir de l’effet sur elles.
- Et voilà. Une nouvelle fois, le mâle acariâtre et hégémonique se réveille. - tonna la chamane en faisant la moue. – Femme, fais ci, femme fais-ça. Pendant ce temps-là, il repose son gros cul malodorant et poilu sur le canapé du salon en buvant sa bière, comme un sale goret dégueulasse !
- S’il vous plait. – souffla Duda, exaspéré.
- Bon, c’est mieux. – reprit Zamora, une note de fierté dans la voix. – Il faut nous respecter, nous autres les femmes. Alors, puisque vous le demandez si gentiment, il se peut que j’aie quelque chose qui pourrait vous convenir. Attendez voir, où est-ce que je l’ai mis déjà ?
Elle alla fouiller parmi les nombreux ingrédients entreposés sur les étagères et s’esclaffa soudain :
- Et voilà, parfait ! Je l’ai ! Tenez. – dit-elle en tendant au coach une fiole oblongue remplie d’un liquide sirupeux de couleur brun clair.
- C’est quoi exactement ? – demanda Duda, interloqué.
- C’est une concoction de mon cru, une spécialité dont le suis une des rares à connaitre la recette. Un subtil mélange de camomille, d’oseille, de baies de genévrier et quelques autres ingrédients disons… spéciaux. – clama-t-elle en jetant un regard suspicieux au vieux mage. – J’vais quand même pas vous donner la liste exacte des ingrédients.
- D’accord mais j’en fais quoi ? – s’étonna une nouvelle fois l’entraineur.
- Comment ça vous faites quoi ? J’dois vous faire un dessin, vraiment ? – s’agaça Zamora. – Vous le mettez dans la nourriture des filles, ni vu ni connu, et le tour est joué. Sur des beignets à la crème de préférence. Elles raffolent de ça, ces petites gourmandes. Elles ne pourront pas y résister. Et la crème cache parfaitement le goût particulier de l’élixir.
- Et quoi ? Genre, elles vont mourir ? – s’inquiéta Eggon, les yeux exorbités.
- Mais non. – répondit la sorcière, un sourire mauvais dessiné sur les lèvres. – Elles vont juste avoir une chiasse d’enfer !
Ils dirent rapidement au revoir à leur hôtesse, en s’inclinant et en la remerciant maladroitement, et sortirent à la hâte de la chaumière, empressés de quitter cette inquiétante et mystérieuse femme. Une fois dehors, celle-ci les regarda partir en direction des chevaux. Elle reprit sa pose lascive et héla tout à coup l’entraineur :
- Guerrier ! Si jamais le hasard te faisait repasser dans les alentours, sache que ma porte te sera ouverte. Mon feu brûle toujours… - Clama-t-elle sur un ton énigmatique puis entra dans sa bâtisse en fermant la porte.
Duda resta figé quelques instants, sans réaction, les yeux plissés et le regard dur. Des pouffements et rires étouffés derrière lui le firent sortir de sa torpeur. Il se retourna vers ses joueurs et le vieux mage, qui le regardaient parcourus de spasmes de rire, les yeux brillants de malice, et les mains sur leurs bouches.
- Qu’est ce que vous avez à rigoler, espèces de crétins décérébrés ! – grogna-t-il avec agressivité.
- Il a un ticket le coach. – gloussa Eggon de manière joviale, en accentuant exagérément chaque mot.
- Il est raide dingue, le coach. – ricana bêtement Sherlock de la même manière. – Quand les copains vont apprendre ça…
- Hé coach, attention ! – leur emboita le pas Robert. – C’est une femme dangereuse Zamora ! Si elle vous plaque et vous enfourche, vous ne vous relevez plus !
- Alors qu’on soit clair, vous et moi, p’tits merdeux de première ! – s’époumona Duda, la voix grave, mais néanmoins les oreilles rougies. – Vous allez la boucler et tout de suite ! Si j’entends la moindre réflexion, la moindre observation, si vous mouftez ne serait-ce qu’un mot à ce qui vient de se passer, j’vous mets en première ligne le match suivant face aux nains de Bosk ! Compris, bande de cons !
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